Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

manière singulière, comme si elle voulait esquisser un sourire incrédule. Ce ne fut qu’une seconde, et son visage reprit son expression sévère et énigmatique.

— Grand-papa vous a-t-il parlé de moi ? demanda-t-elle en me regardant de la tête aux pieds avec quelque chose d’ironique.

— Non, il n’a pas parlé de toi, mais il…

— Et comment saviez-vous que je viendrais ? qui vous l’avait dit ? demanda-t-elle brusquement.

— Parce que j’ai pensé que ton grand-père ne pouvait pas vivre seul, abandonné de tous ; il était si vieux, si faible : je me suis dit que quelqu’un venait chez lui. Tiens, voici tes livres. Est-ce que tu t’en sers pour étudier ?

— Non.

— Qu’en fais-tu ?

— Grand-papa me faisait étudier, au commencement, lorsque je venais le voir.

— Et plus tard ?

— J’ai cessé de venir… j’ai été malade. Elle fit mine de s’en aller.

— Qui as-tu ? ton père ? ta mère ? une famille ?

Elle fronça soudain les sourcils et me regarda tout effrayée, puis elle se retourna et sortit doucement de la chambre sans me répondre, tout comme elle avait fait la veille. Je la suivis des yeux avec étonnement ; elle s’arrêta sur le seuil.

— De quoi est-il mort ? demanda-t-elle d’une voix saccadée et en se tournant un peu vers moi, avec le même geste et le même mouvement que je lui avais vu faire le soir d’avant, alors qu’elle me questionnait sur Azor.

Je m’approchai d’elle et lui racontai en quelques mots la mort de son grand-père. Elle m’écouta sans rien dire, la tête baissée et en me tournant le dos. Je lui dis que le vieillard en mourant avait parlé de la sixième ligne. J’ai deviné, ajoutai-je, que c’était là que demeurait quelqu’un qui lui était cher ; voilà pourquoi je m’attendais à ce qu’on viendrait le voir. Il t’aimait sans doute, puisqu’il a pensé à toi à sa dernière heure.

— Non, murmura-t-elle comme malgré elle, il ne m’aimait pas. Elle était extrêmement agitée. Je croyais qu’elle faisait