Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/175

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Tiens, lui dis-je sans répondre à sa question, tu peux lire ce livre que tu regardais il y a un moment. Tu sais lire, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Eh bien, lis ce livre, c’est moi qui l’ai écrit.

— Vous ? Oh ! je le lirai…

Elle avait envie de dire encore quelque chose ; mais elle était gênée, je le voyais ; elle était agitée, et ses questions cachaient quelque pensée qu’elle n’osait formuler.

— Gagnez-vous beaucoup d’argent pour ce que vous écrivez ? demanda-t-elle enfin.

— Ça dépend. Quelquefois beaucoup, et quelquefois rien du tout, parce que le travail ne veut pas aller. C’est un travail difficile.

— Alors vous n’êtes pas riche ?

— Non.

— Dans ce cas, je veux travailler et vous aider.

Elle me regarda, mais rougit et baissa de nouveau les yeux. Tout à coup elle se précipita sur moi, m’embrassa et pressa avec force son visage sur ma poitrine. J’étais stupéfait.

— Je vous aime… je ne suis pas fière, dit-elle. Vous m’avez dit que j’étais fière. Non, non… je ne suis pas fière… je vous aime. Vous êtes la seule personne au monde qui m’aime…

Elle suffoquait et se mit à sangloter comme pendant l’attaque de la veille. Elle tomba à genoux devant moi, me baisa les mains, les genoux.

— Vous m’aimez ! répétait-elle ; vous seul, vous seul !

Et elle serrait convulsivement mes genoux dans ses bras. Ses sentiments, si longtemps contenus, se frayaient tout à coup une issue et s’échappaient en un torrent que rien n’aurait pu arrêter ; je compris alors l’étrange obstination de ce cœur qui s’était chastement caché jusqu’alors, et cela avec d’autant plus d’opiniâtreté et de rigueur que le besoin de se manifester, de se déverser, était plus violent jusqu’à cette explosion, devenue inévitable au moment où l’être tout entier, s’oubliant lui-même, s’abandonnait au besoin d’aimer, de montrer sa reconnaissance, de prodiguer ses caresses et