Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/224

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Hélène et danser devant elle. De quoi as-tu bien pu lui parler pendant une heure et demie ?

— Hélène est une petite fille de onze à douze ans, qui, pour le moment, demeure chez Ivan Pétrovitch, dit Masloboïew en guise d’explication en s’adressant tout à coup à Alexandra Séménovna. Prends garde, Vania, prends garde, continua-t-il en me montrant du doigt sa compagne, tu vois comme elle a pris feu quand elle t’a entendu dire que j’avais porté des bonbons à une petite fille inconnue ; regarde-moi ces joues, regarde, elle tremble comme si l’on devait tiré un coup de pistolet… tu vois ces regards ; on dirait des aiguilles. Alexandra Séménovna, avouez-le, vous êtes jalouse ! Si je ne lui avais pas expliqué qu’il s’agit d’une fillette de onze ans, comme elle me prendrait au toupet ! La bergamote ne me sauverait pas !

— Elle ne te sauvera pas non plus à présent ! s’écria Alexandra Séménovna. Elle ne fit qu’un bond jusqu’à nous, et avant que Masloboïew eût eu le temps de se prémunir, elle l’avait pris par les cheveux et tirait de toutes ses forces.

— Tiens ! tiens ! ça t’apprendra à dire devant des étrangers que je suis jalouse ; je te le défends ! tiens ! tiens !

Ses joues étaient en feu, et quoiqu’elle plaisantât à moitié, Masloboïew fut joliment secoué.

— Voilà ma vie ! dit Masloboïew ; de l’eau-de-vie, conclut-il en remettant sa chevelure en ordre, et il tendit précipitamment le bras vers un carafon. Mais Alexandra Séménovna le prévint : elle s’empara du flacon et lui versa un verre qu’elle lui offrit en lui tapotant doucement et amicalement sur la joue. Masloboïew, tout fier de cette caresse, m’envoya un clignement de l’œil, fit claquer sa langue et avala gravement son verre.

— Quant aux bonbons, dit-il en s’asseyant à côté de moi sur le canapé, c’est assez difficile à expliquer. Je les avais achetés la veille, étant pompette, chez un épicier, je ne sais pourquoi ; peut-être dans l’unique but de soutenir l’industrie et le commerce nationaux ; je me souviens seulement que je me trouvais dans la rue, que j’avais roulé dans la boue, et que je m’étais mis à m’arracher les cheveux et à pleurer de