Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/246

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les yeux, en me parlant, j’éprouve un vrai plaisir… Mais je vous dis des choses qui, pour une jeune fille… Est-ce que je fais bien ou non ?

— Quel mal y aurait-il à cela ?

— En effet ! Quel mal y aurait-il ? Mais eux, que voilà (elle indiqua d’un regard le groupe assis autour de la table), eux, ils diraient certainement que ce n’est pas bien. Ont-ils raison ?

— Nullement ! Vous ne sentez pas dans votre cœur que vous agissez mal ; cela prouve…

— Quand j’ai quelque doute, dit-elle en m’interrompant, je consulte aussitôt mon cœur. C’est ainsi qu’il faut toujours agir. Si je vous parle si franchement, c’est d’abord parce que je sais que vous êtes un excellent homme, et que je connais votre histoire et celle de Natacha, avant qu’elle aimât Aliocha ; j’ai pleuré lorsqu’on me l’a racontée.

— Qu’est-ce qui vous l’a racontée ?

— Aliocha, naturellement. Il pleurait en me la racontant. Il vous aime beaucoup. La seconde raison de ma franchise, c’est que vous êtes un homme de bon conseil et que vous pouvez me guider. Occupons-nous donc d’abord du plus important. Je suis la rivale de Natacha, je le sais, je le sens, que me conseillez-vous de faire ? C’est pour cette raison que je vous ai demandé si vous pensiez qu’ils seraient heureux ensemble ; cette pensée me tourmente. La position de Natacha est affreuse ! Il est évident qu’Aliocha a complètement cessé de l’aimer et qu’il m’aime toujours de plus en plus. N’est-ce pas votre avis ?

— Il me semble que c’est ainsi.

— Et pourtant il ne la trompe pas, il ignore encore qu’il ne l’aime plus. Combien elle doit souffrir !

— Que comptez-vous faire, Catherine Féodorovna ?

— J’ai quantité de projets, répondit-elle, je m’y embrouille, et je vous attendais avec impatience afin que vous m’aidiez à prendre une résolution. Vous connaissez la situation mieux que moi, je m’adresse à vous comme à un sauveur. Ma première idée a été : S’ils s’aiment, il faut qu’ils soient heureux, et mon devoir est de me sacrifier et de leur venir en aide. N’était-ce pas juste ?

—