Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/249

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Est-il vrai que vous ayez l’intention avec le temps de leur faire cadeau d’un million ?

— Eh bien ! tenez, ils ont déjà tant bavardé à ce sujet que cela devient insupportable. Je suis prête à faire des sacrifices pour toute chose utile ; mais pourquoi justement une somme aussi énorme ? Dieu sait quand je donnerai quelque chose, et déjà ils sont en train de faire des parts, de juger, de crier et de se quereller sur l’emploi qu’ils en feront : c’est vraiment singulier ! Ils ont trop de fougue, mais ce n’en sont pas moins des jeunes gens sincères et… intelligents. Ils étudient, ce qui vaut certainement mieux que la manière de vivre de beaucoup d’autres, n’est-ce pas ?

Nous causâmes longtemps encore. Elle me raconta son histoire et écouta avec avidité ce que je lui dis de Natacha et d’Aliocha, sur lesquels elle me fit toutes sortes de questions. Il était minuit lorsque le prince s’approcha de moi et me fit comprendre qu’il était temps de nous retirer. Je pris congé ; Katia me serra la main avec force, la comtesse m’invita à venir la voir, et nous sortîmes.

Je ne puis m’empêcher de faire une remarque qui n’est pas peut-être directement en relation avec mon récit : j’emportai de mon long entretien avec Katia la conviction qu’elle était encore enfant, au point d’ignorer les rapports mystérieux qui existent entre l’homme et la femme. Cela donnait quelque chose de comique à quelques-uns de ses raisonnements et au ton plein de gravité avec lequel elle parlait de beaucoup de choses sérieuses.



X

Si nous allions souper, me dit le prince pendant que nous montions en voiture ; qu’en dites-vous ?

— Je ne sais, prince, répondis-je avec hésitation ; je ne soupe jamais…

— Voyons, décidez-vous ; nous causerons en soupant,