Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/282

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lorsqu’elle s’apercevait qu’une de ses espiègleries m’affligeait, elle était prise d’un accès de rire qui finissait presque toujours par des larmes.

Il lui arriva même de se quereller avec Alexandra Séménovna, à qui elle déclara qu’elle ne voulait rien avoir d’elle, et lorsque je me mis à lui faire des reproches en présence d’Alexandra Séménovna, elle se mit en colère et me répondit avec irritation ; après cela, elle resta deux jours sans prononcer une seule parole, ne voulant ni prendre sa médecine, ni boire ni manger, et ce ne fut que mon vieux docteur qui sut, par ses exhortations, la ramener à de meilleurs sentiments.

Nelly l’accueillait avec une vive sympathie, et elle l’avait si bien ensorcelé qu’il ne pouvait rester une journée entière sans entendre son rire et les plaisanteries, parfois très-amusantes, qu’elle lui disait. Il lui apportait des livres d’images, qu’il avait soin de choisir instructifs ou édifiants ; puis il lui acheta de jolies boîtes de bonbons. À l’air triomphant avec lequel il entrait, Nelly devinait qu’il avait quelque chose pour elle. Mais lui, il riait d’un air malicieux, s’asseyait à côté d’elle, et donnait à entendre que si certaine jeune demoiselle était bien sage et méritait toute son estime, pendant la durée de sa visite, cette jeune demoiselle serait digne d’une récompense. En disant cela, il la regardait avec tant de bonté et de franchise que la petite, tout en riant de lui de son rire le plus franc, le plus ouvert, lui exprimait, par son regard serein, un tendre et sincère attachement. Enfin le vieillard se levait solennellement, tirait de sa poche sa boite de bonbons et, la présentant à Nelly, ne manquait pas de dire : « Ceci est pour mon aimable et future femme. » Il était alors certainement plus heureux que Nelly.

Ils se mettaient ensuite à causer.

— Nous devons ménager notre santé, plus que toute autre chose, disait-il d’un ton dogmatique, d’abord, afin de rester au nombre des vivants, et secondement pour être heureux en ce monde. Si vous avez quelque affliction, ma chère enfant, il faut tâcher de n’y pas penser du tout. Si vous