Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/284

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oreiller. C’était mon roman qu’elle avait pris sur ma table et qu’elle avait lu pendant mon absence. Elle avait l’air honteuse, je fis semblant de n’avoir rien remarqué. Elle profita d’un moment où j’étais allé un instant à la cuisine pour sauter vite hors de son lit et remettre le volume à sa place. Un instant après, elle m’appela d’une voix qui trahissait l’émotion. Elle était restée quatre jours presque sans m’adresser la parole.

— Irez-vous aujourd’hui… chez Natacha ? me demanda-t-elle.

— Oui, Nelly, il me faut absolument y aller.

Elle garda un moment le silence.

— Vous… l’aimez… beaucoup ? reprit-elle d’une voix faible.

— Oui, Nelly, je l’aime beaucoup.

— Moi aussi, je l’aime, ajouta-t-elle tout bas, après quoi elle se tut de nouveau. Je veux aller demeurer chez elle, dit-elle ensuite en me regardant d’un air timide.

— Ne te trouves-tu pas bien chez moi ? demandai-je tout étonné. Tu ne peux pas aller demeurer chez elle.

— Pourquoi ne pourrais-je pas ? demanda-t-elle en rougissant. Vous voulez que j’aille chez son père, mais je ne veux pas y aller. A-t-elle une servante ?

— Oui.

— Eh bien ! elle la renverra et me prendra à sa place ; elle ne me donnera pas de gages, et je ferai ce qu’elle voudra. Je l’aimerai beaucoup. Je ferai la cuisine. Dites-le-lui aujourd’hui.

— D’où te vient cette fantaisie, Nelly ? Quelle idée te fais-tu d’elle ? Penses-tu qu’elle voudrait te prendre comme cuisinière ? Si elle te prenait, ce serait comme son égale, comme une sœur.

— Je ne veux pas qu’elle me prenne comme son égale. Ce j n’est pas ainsi que je veux…

— Et pourquoi pas ?

Nouveau silence. Ses lèvres tremblaient, et les larmes gouttaient ses paupières.

— Celui qu’elle aime à présent s’en ira et la laissera toute seule, n’est-ce pas ? demanda-t-elle enfin.

—