Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/314

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la pensée qu’il s’amusait… qu’il faisait comme les autres grands, qu’il courait avec eux les belles ! Que de délices je trouvai dans cette brouille !… puis… la réconciliation… Ah ! cher bien-aimé !

Elle me regarda et se mit à rire, d’un rire étrange ; puis elle retomba dans sa rêverie et parut rassembler ses souvenirs. Elle resta ainsi longtemps assise, le sourire aux lèvres, perdue dans le passé.

— J’aimais surtout à lui pardonner, reprit-elle ; lorsqu’il me délaissait, j’allais et je venais par la chambre, et dans ma désolation, dans mes larmes, je me disais que plus il serait coupable envers moi, mieux cela vaudrait… Oui ! vraiment ! je le voyais comme un tout petit enfant ; j’étais là assise, il mettait sa tête sur mes genoux, il s’endormait, et je le caressais doucement, je passais ma main sur ses cheveux… C’est ainsi que je le voyais quand il n’était pas auprès de moi…

Elle se tut un instant, puis reprit tout à coup :

— Quelle charmante jeune fille que Katia !

Je pensai qu’elle s’efforçait elle-même d’envenimer sa blessure, qu’elle sentait le besoin de se désespérer, de souffrir… comme cela arrive souvent lorsque le cœur est cruellement éprouvé.

— Je crois qu’elle le rendra heureux, continua-t-elle. Elle a de la fermeté de caractère, elle parle avec conviction ; elle est grave et sérieuse à son égard ; elle ne parle que de choses raisonnables : on dirait une grande personne, et c’est encore une véritable enfant ! Puissent-ils être heureux ! oui ! oui ! oui ! qu’ils soient heureux !

Les larmes et les sanglots s’échappèrent soudain de sa poitrine oppressée. Elle resta une demi-heure avant de revenir à elle et de retrouver un peu de calme. Pauvre ange ! Ce soir encore, malgré son malheur, elle voulut prendre sa part de mes chagrins, lorsque, voyant qu’elle était un peu plus tranquille, ou plutôt qu’elle était fatiguée, et pour la distraire un peu, je lui racontai les angoisses que j’avais eues pour Nelly… Je ne la quittai que fort tard, quand elle se fut endormie, et après avoir recommandé à Mavra de rester toute la nuit auprès d’elle.