Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/323

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baissait la tête et ne risquait que de temps à autre un regard craintif autour d’elle, comme un oiseau qui vient d’être pris.

Anna Andréievna ne fut pas longtemps à se reconnaître ; elle courut à Nelly, l’embrassa, et lui fit toutes sortes d’amitiés et de caresses ; puis émue jusqu’aux larmes, elle la fit asseoir auprès d’elle et la tint tendrement serrée contre elle ; l’enfant lui jetait à la dérobée des regards pleins de curiosité et de surprise.

Mais quand elle l’eut bien embrassée et caressée, la bonne femme ne sut plus que faire et se tourna vers moi dans une attente naïve. Nicolas Serguiévitch, tout renfrogné, semblait avoir deviné pourquoi j’avais amené Nelly. Il s’aperçut que je remarquais sa mine mécontente et son front ridé par la mauvaise humeur, il y porta la main et me dit d’une voix cassée :

— La tête me fait mal, Vania.

Nous restâmes un moment assis sans rien dire, et je cherchais une parole pour mettre fin à cette scène muette. Un gros nuage noir assombrissait le côté du ciel sur lequel donnaient les fenêtres, et nous étions dans une demi-obscurité. Un coup de tonnerre retentit.

— Il tonne de bonne heure cette année, dit Ikhméniew ; c’est rare ; pourtant je me souviens qu’en 37 nous avons eu un orage encore plus tôt.

— Anna Andréievna soupira à cette réminiscence.

— Faut-il faire préparer la bouilloire ? demanda-t-elle. Personne ne répondit à sa question ; elle se retourna vers Nelly.

— Comment t’appellerons-nous, ma petite colombe ? lui demanda-t-elle.

— Nelly, répondit l’enfant sans lever les yeux. Le regard du vieillard ne la quittait pas.

— Cela veut dire Hélène, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit Nelly.

— Ma sœur Prascovie avait une nièce qui se nommait Hélène, dit Ikhméniew ; nous l’appelions aussi Nelly.

— Ainsi, petite chérie, tu n’as plus ni père, ni mère, ni personne, reprit Anna Andréievna.

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