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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/133

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

il que ce jour-là, les soldats armés de fusils à tir rapide, ne pouvaient, faute de cartouches, se servir de leur chassepots que toutes les deux minutes environ. Il convient d’ajouter que des bataillons entiers abordaient le champ de bataille après un jeûne de vingt-quatre heures. Du reste, les révélations faites sur le manque d’organisation et la pénurie des vivres de l’armée impériale ont stupéfié l’Europe. Nous nous souvenons d’un télégramme adressé par l’empereur Napoléon à l’impératrice Eugénie (longtemps avant le désastre de Sedan). Par ce télégramme l’empereur priait la Régente de commander le plus tôt possible deux mille marmites en fonte. Cette dépêche avait toujours ceci de consolant, que si elle reconnaissait que l’on avait pas d’ustensiles pour faire bouillir la soupe, elle semblait d’autre part admettre l’existence des éléments de cette soupe. Ou alors pourquoi commander des marmites par télégramme ?… Mais, d’après le témoignage du maréchal Canrobert, les soldats se battaient à Saint-Privat après vingt-quatre heures d’abstinence forcée ;… le lendemain et le surlendemain, ils ne mangeaient pas davantage. Or, vers cette époque, les marmites étaient sûrement arrivées de Paris…, mais elles étaient arrivées trop tard. Tout, du reste, arriva trop tard au cours de cette campagne extraordinaire. L’empereur, pour s’être mis en retard, perdit l’instant où il aurait pu se replier sur Paris avec son armée, après ses premières et graves défaites. Ce n’eût peut-être point été pour lui le salut, mais cela pouvait lui épargner quelques infortunes. Il se passa malheureusement alors ce qui s’était passé, comme nous l’avons dit, pendant tout son règne. Préoccupé de sa dynastie plus que du bonheur du pays qu’il gouvernait, il s’était trouvé entraîné à se servir de mille expédients dangereux pour la France. Si bien que ce souverain puissant se trouvait n’être qu’un chef de parti et non le premier des Français. La retraite sur Paris, avec une armée battue, mais encore capable de combattre, lui fit peur. Il craignait le mécontentement du pays, la perte de son prestige, l’émeute et même la révolution. Il préféra capituler à Sedan sans conditions, s’en remettant pour le sort de sa dynastie et le sien propre à la générosité des