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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/237

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

car elle dérivait de principes élevés sans lesquels l’humanité ne saurait vivre en beauté. Cette fierté n’était pas le mépris quand même du voisin auquel on dit : je suis meilleur que toi ; tu ne me vaudras jamais ; elle n’était que le hautain refus de pactiser avec le mensonge et le vice, sans que, je le répète, ce refus signifiât le rejet de tout sentiment de pitié ou de pardon. Cette fierté s’imposait aussi d’immenses devoirs. Les héroïnes de George Sand avaient soif de sacrifice, ne rêvaient que grandes et belles actions. Ce qui me plaisait surtout dans ses premières œuvres, c’étaient quelques types de jeunes filles de ses contes dits « vénitiens », types dont le dernier spécimen figure dans ce génial roman intitulé Jeanne, qui résout de façon lumineuse la question historique de Jeanne d’Arc. Dans cette œuvre, George Sand ressuscite pour nous, dans la personne d’une jeune paysanne quelconque, la figure de l’héroïne française et rend en quelque sorte palpable la vraisemblance de tout un cycle historique admirable. C’était une tâche digne de la grande évocatrice, car, seule de tous les poètes de son époque, elle porta dans son âme un type idéal aussi pur de jeune fille innocente, puissante par son innocence même.

Tous ces types de jeunes filles se retrouvent plus ou moins modifiés dans des œuvres postérieures ; l’un des plus remarquables est étudié dans la magnifique nouvelle la Marquise. George Sand nous y présente le caractère d’une jeune femme loyale et honnête, mais inexpérimentée, douée de cette chasteté fière qui ne craint rien et ne peut se souiller même au contact de la corruption. Elle va droit au sacrifice (qu’elle croit qu’on attend d’elle) avec une abnégation qui brave tous les périls. Ce qu’elle rencontre sur sa route ne l’intimide en rien, au contraire. Sa bravoure s’en exalte. Ce n’est que dans le danger que son jeune cœur prend conscience de toutes ses forces. Son énergie s’en exaspère ; elle découvre des chemins et des horizons nouveaux à son âme, qui s’ignorait encore, mais qui était fraîche et forte, non encore salie par des concessions à la vie. Avec cela, la forme du poème est irréprochable et charmante. George Sand aimait les

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