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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

tité négligeable auprès de leurs forces militaires, et ne les auraient pas comparés aux Piémontais.

C’est pour cela que la société russe doit encore secourir les Slaves ; il faut de l’argent. Le général Tschernaïev a déjà fait savoir à Pétersbourg que l’état sanitaire est médiocre dans l’armée serbe ; de plus, il y a pénurie de médecins ; les blessés sont mal soignés. À Moscou le Comité slave a fait un appel énergique à la Russie et a assisté au grand complet à la cérémonie religieuse célébrée à l’église serbe pour prier le ciel d’accorder la victoire aux armes serbes et monténégrines. À Pétersbourg les manifestations publiques recommencent en même temps que les souscriptions. Le mouvement prend de l’extension, bien que nous soyons en pleine morte-saison d’été.

Je croyais avoir fini mon carnet : j’en corrigeais déjà les épreuves, quand une jeune fille sonna à ma porte. Elle venait de préparer un examen assez difficile. Elle appartient à une famille plutôt riche, n’a donc pas d’inquiétudes d’avenir, mais se préoccupe fort de son développement intellectuel. Elle venait chez moi pour me demander conseil. Que devait-elle lire ? Sur quel point devait-elle diriger ses études ? Quand elle me visitait, elle demeurait peu de temps, ne me parlait que de ce qui la concernait spécialement, avec modestie et confiance. Il était impossible de ne pas deviner en elle un caractère des plus énergiques et des plus décidés, et je n’ai pas été trompé par sa timidité apparente.

Cette fois elle entra et dit sans préambule : « On a besoin de garde-malades en Serbie. J’ai pris la résolution d’aller soigner, là-bas, les blessés. Qu’en pensez-vous ? » Elle me regarda avec une sorte de confusion, mais je lus clairement dans ses yeux que sa décision était prise et bien prise. Elle n’avait besoin que de quelques paroles réconfortantes. Je ne suivrai pas notre causerie dans tous ses détails : l’anonymat de mon interlocutrice pourrait ainsi être trahi par quelque trait particulier ; je ne donne que l’essentiel.

Je fus pris de pitié pour elle : elle est si jeune ! Lui faire peur en lui parlant des horreurs de la guerre, du

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