Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/113

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la vérité, elle se mettait à parler, mais il était difficile de comprendre ses paroles ; elle avait l’air d’une folle, tant elle était émue et exaltée. Parfois, les enfants arrivaient avec moi. D’ordinaire, en pareil cas, ils se tenaient à une certaine distance et faisaient le guet, pour que personne ne me surprît causant avec Marie ; ce rôle de sentinelles leur plaisait infiniment. Lorsque nous étions partis, Marie, se retrouvant seule, restait de nouveau sans bouger, les yeux fermés, la tête appuyée contre le rocher ; peut-être rêvait-elle de quelque chose. Un matin, il lui fut impossible de sortir, comme de coutume, pour mener paître le troupeau, et elle resta chez elle, dans sa petite maison vide. Les enfants l’apprirent aussitôt, et presque tous vinrent à plusieurs reprises lui faire visite ce jour-là ; elle était au lit, et n’avait personne pour s’occuper d’elle. Pendant deux jours les enfants furent seuls à lui donner des soins : ils se relayaient dans l’office de garde-malade. Mais ensuite, quand on sut dans le village que Marie était mourante, de vieilles paysannes vinrent à tour de rôle s’installer à son chevet. Dans la localité on commençait, paraît-il, à avoir pitié de la jeune fille ; du moins, on laissait aux enfants la liberté de l’approcher et on ne l’injuriait plus comme autrefois. La malade était toujours dans un état comateux, elle avait le sommeil agité et toussait effroyablement. Les vieilles femmes empêchaient les enfants de pénétrer dans la chambre, mais ils accouraient à la fenêtre, quelquefois pour n’y rester qu’une minute, le temps de dire : « Bonjour, notre bonne Marie. » Et elle, dès qu’elle les apercevait ou entendait leurs voix, elle était toute ranimée ; aussitôt, sourde aux observations de ses garde-malades, elle se soulevait péniblement sur sa couche, adressait un signe de tête à ses petits amis, les remerciait. Ils continuaient à lui apporter des cadeaux, mais elle ne mangeait plus guère. Grâce à eux, je vous l’assure, elle mourut presque heureuse. Grâce à eux, elle oublia son malheur, elle reçut d’eux en quelque sorte son pardon, car, jusqu’à la fin, elle se considéra comme une grande coupable. Pareils à de