Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/132

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je ne me rappelle plus exactement les mots, je vous en donne du moins le sens, tel que je l’ai compris.

Une colère immense s’empara de Gania et lui fit oublier toute retenue.

— Ah ! ainsi c’est comme cela ! vociféra-t-il en grinçant des dents : — ainsi on flanque mes billets par la fenêtre ! Ah ! elle se refuse à un marché, — ainsi je lui en propose un ! Mais nous verrons ! Je ne suis pas encore au bout de mon rouleau… nous verrons !… C’est moi qui aurai le dernier mot !…

Son visage était pâle et convulsé, l’écume blanchissait ses lèvres : il brandissait le poing d’un air de menace. Les deux jeunes gens cheminèrent ainsi côte à côte pendant quelques minutes. Sans s’inquiéter en aucune façon de la présence du prince, qu’il comptait absolument pour rien, Gania donnait cours à son exaspération aussi librement que s’il avait été seul dans sa chambre. Tout à coup pourtant il se fit une réflexion.

— Mais comment donc, demanda-t-il brusquement au prince, — comment donc se fait-il qu’à vous (un idiot ! ajouta-t-il à part soi), à vous qu’elle connaît depuis deux heures, elle témoigne de but en blanc une telle confiance ? D’où cela vient-il ?

Pour que son malheur fût complet, il ne manquait plus à Gania que d’être jaloux, et voilà que subitement l’envie lui mordait le cœur.

— Je ne saurais pas vous expliquer cela, répondit le prince.

Gania fixa sur lui un regard haineux.

— C’est donc pour vous donner si confiance qu’elle vous a emmené dans la salle à manger ? En vous priant de la suivre, elle a dit qu’elle voulait vous donner quelque chose ?

— Je ne puis moi-même comprendre autrement cette parole.

— Mais pourquoi donc, le diable m’emporte ? Qu’est-ce que vous avez fait là ? Par quoi lui avez-vous plu ? Écoutez,