Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/251

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après tout, il ne l’a pas retiré, il a su se vaincre ! Donc, il y a chez lui plus d’amour-propre que d’avidité. Ce n’est rien, il va reprendre ses sens ! Sans cela, il m’aurait tuée, peut-être… tenez, voilà qu’il revient à lui. Général, Ivan Pétrovitch, Daria Alexievna, Katia, Pacha, Rogojine, vous l’avez entendu ? Le paquet est à lui, à Gania. Je le lui donne en toute propriété, pour l’indemniser… allons, peu importe pourquoi ! Vous le lui direz. Qu’il le trouve là, à côté de lui, quand il reprendra connaissance… Rogojine, partons ! Adieu, prince, pour la première fois j’ai vu un homme ! Adieu, Afanase Ivanovitch, merci !

Toute la bande amenée par Rogojine se pressa tumultueusement vers la sortie, à la suite de son chef et de Nastasia Philippovna. Celle-ci trouva dans la salle ses servantes qui lui donnèrent sa pelisse ; la cuisinière Marfa accourut de la cuisine. La jeune femme les embrassa toutes.

— Mais est-il possible, matouchka, que vous nous quittiez pour toujours ? Où allez-vous donc ? Et un jour de naissance encore ! demandaient les bonnes éplorées en baisant la main de leur maîtresse.

— Je m’en vais sur la rue, Katia, tu l’as entendu, c’est là ma place, sans cela je me ferais blanchisseuse ! J’en ai assez d’Afanase Ivanovitch ! Saluez-le de ma part, et ne gardez pas un mauvais souvenir de moi…

Le prince sortit en toute hâte de l’appartement, tandis que, devant le perron, Rogojine et ses acolytes s’entassaient dans quatre traîneaux garnis de clochettes. Le général parvint à le rattraper sur le palier.

— Je t’en prie, prince, sois raisonnable ! dit-il en le prenant par le bras : — laisse-la ! Tu vois comme elle est ! C’est en père que je te parle…

Le prince le regarda, mais, sans proférer un mot, il se dégagea et descendit l’escalier quatre à quatre.

Près du perron, au moment où la caravane venait de se mettre en route, le général remarqua que le prince prenait un fiacre et criait au cocher de suivre les troïkas jusqu’à Ékaté-