Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/296

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— Qu’est-ce qu’elle sait ?

— Eh ! le sais-je ? reprit avec un rire sardonique Parfène Séménitch. — Dans le temps, à Moscou, j’ai eu beau l’espionner, je n’ai pu la surprendre avec personne. Un jour je lui dis : « Tu as promis de m’épouser, tu vas entrer dans une famille honnête, et sais-tu, toi, ce que tu es ? Voici ce que tu es ! »

— Tu le lui as dit ?

— Oui.

— Eh bien ?

« Bien loin de vouloir être ta femme, répondit-elle, je ne consentirais peut-être pas à te prendre pour laquais. — N’importe, repris-je, je ne m’en irai pas d’ici ! — Eh bien, répliqua-t-elle, je vais faire venir Keller, je lui parlerai et il te jettera à la porte. » Je m’élançai sur elle et je la meurtris de coups.

— Ce n’est pas possible ! s’écria le prince.

— Je te dis la vérité, poursuivit d’une voix douce Rogojine, dont, pourtant, les yeux étincelaient. — Pendant trente-six heures je restai sans dormir, sans manger, sans boire, je ne quittai pas sa chambre, je m’agenouillai devant elle. « Je mourrai, lui dis-je, je ne m’en irai pas avant que tu m’aies pardonné, et si tu donnes ordre de m’expulser, je me jetterai à l’eau, car que ferai-je désormais sans toi ? » Durant toute cette journée-là, elle fut comme une folle : tour à tour elle pleurait, prenait un couteau pour me tuer, ou m’accablait d’injures. Elle appela Zaliojeff, Keller, Zemtujnikoff, etc., me montra à eux et me fit honte devant tout ce monde. « Messieurs, allons tous ensemble au théâtre, qu’il reste ici, puisqu’il ne veut pas s’en aller, ce n’est pas lui qui m’empêchera de sortir. Je vais donner des ordres pour qu’on vous serve du thé, Parfène Séménitch, car vous devez avoir faim, n’ayant rien mangé aujourd’hui. » Elle revint seule du théâtre. « Ce sont des poltrons et des lâches, commença-t-elle, ils ont peur de toi et veulent m’effrayer : il ne s’en ira pas, disent-ils, il vous assassinera peut-être. Eh bien, quand j’irai me coucher, je