Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/313

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Quand ils se retrouvèrent sur le palier, il ajouta :

— Vois-tu, elle ne comprend rien à ce qu’on dit, et mes paroles sont certainement restées lettre close pour elle ; pourtant elle t’a béni ; c’est donc qu’elle-même avait envie de le faire… Allons, adieu, le moment est venu de nous quitter.

Et il ouvrit la porte de son appartement.

Le prince fixa sur Rogojine un regard chargé de tendres reproches.

— Mais laisse-moi au moins t’embrasser avant que nous nous séparions, homme étrange que tu es ! s’écria-t-il, et il lui tendit les bras. Parfène leva aussi les siens, mais presque immédiatement les laissa retomber. Un combat se livrait en lui, et, ne voulant pas embrasser le prince, il évitait de le regarder.

— N’aie pas peur ! Quoique j’aie pris ta croix, je n’assassinerai pas pour une montre ! murmura-t-il avec un rire étrange. Mais tout à coup une transformation complète s’opéra dans sa physionomie : il devint affreusement pâle, ses lèvres commencèrent à frémir et ses yeux à flamboyer. Levant les bras, il serra avec force le prince contre sa poitrine et dit d’une voix étranglée :

— Eh bien, prends-la, puisque la destinée le veut ! Elle est à toi ! Je te la cède !… Souviens-toi de Rogojine !

Sur ce, il s’éloigna précipitamment du prince, et, sans le regarder, rentra à la hâte dans son appartement, dont il ferma la porte avec bruit.

V

Il était déjà tard, près de deux heures et demie, et, quand le prince arriva chez Épantchine, il ne le trouva pas. Après avoir remis sa carte, Muichkine résolut d’aller demander Kolia à la Balance : en cas d’absence de son jeune ami, il