Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/319

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cemment et dont tout le monde s’entretenait. Mais à peine s’était-il rappelé cela qu’un nouveau phénomène se produisit brusquement en lui.

C’était un désir violent, inéluctable, une sorte de tentation contre laquelle sa volonté n’avait aucune force. Il se leva du banc, quitta le jardin et prit la direction de la Pétersbourgskaïa, Tantôt, sur le quai de la Néva, il avait prié un passant de lui indiquer ce quartier ; on lui avait montré le chemin pour y aller, mais alors il n’y avait pas été. D’ailleurs, il savait qu’il était inutile de faire cette course aujourd’hui. Il avait depuis longtemps l’adresse ; il pouvait facilement trouver la maison de la parente de Lébédeff, mais il était presque sûr qu’elle ne serait pas là. » Elle est assurément allée à Pavlovsk, autrement Kolia aurait laissé un mot à la Balance, comme c’était convenu. » Si donc il se rendait là maintenant, ce n’était sans doute pas pour la voir. Un autre aimant l’attirait, une curiosité sombre, poignante. Il lui était venu subitement à l’esprit une nouvelle idée…

Mais pour lui c’était déjà beaucoup que de marcher et de savoir où il allait : au bout d’une minute il cheminait sans presque remarquer la route qu’il suivait. Creuser davantage sa « subite idée » était tout à coup devenu pour le prince une tâche répugnante et presque impossible. Il observait avec un douloureux effort d’attention tout ce qui s’offrait à ses yeux ; il regardait le ciel, la Néva. Rencontrant un petit enfant, il se mit à lui parler. Peut-être aussi l’état épileptique s’accusait-il de plus en plus chez lui. L’orage qui se préparait depuis longtemps semblait sur le point d’éclater, et déjà le tonnerre s’était fait entendre. L’air était extrêmement lourd…

Comme on est quelquefois poursuivi par la fatigante réminiscence d’un motif musical, à présent le prince était sans cesse obsédé par l’image du neveu de Lébédeff qu’il avait vu tout à l’heure. Bizarre association d’idées, il se représentait toujours le jeune homme sous l’aspect de l’assassin dont Lébédeff lui-même avait parlé tantôt en présentant son