Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/359

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— Vous les calomniez, Lébédeff, dit-il en souriant, — vous avez toujours sur le cœur la conduite de votre neveu. Ne le croyez pas, Élisabeth Prokofievna. Je vous assure que les Gorsky et les Daniloff ne sont que des exceptions, et que ceux-ci… sont seulement… dans l’erreur… Cependant je n’aimerais pas à les recevoir ici, devant toute la société. Excusez-moi, Élisabeth Prokofievna, ils vont venir, je vous les montrerai, et ensuite je les emmènerai ailleurs. Donnez-vous la peine d’entrer, messieurs !

C’était plutôt une autre idée qui l’inquiétait, le tourmentait cruellement : cette affaire n’était-elle pas un coup monté par quelqu’un ? N’avait-on pas donné le mot à ces gens-là pour qu’ils se présentassent au moment où il avait du monde chez lui, parce qu’on espérait que l’explication tournerait à sa confusion et non à son triomphe ? Mais le prince se reprocha amèrement sa « perverse et monstrueuse défiance ». Il serait peut-être mort de honte si quelqu’un avait pu lire dans son esprit une telle pensée, et, lorsque entrèrent ses nouveaux visiteurs, il était tout disposé à croire qu’il valait infiniment moins qu’aucune des personnes réunies autour de lui.

On vit s’avancer quatre individus que suivait le général Ivolguine fort échauffé et en veine d’éloquence. « Celui-là est certainement pour moi ! » se dit le prince avec un sourire. Kolia s’était glissé dans ce groupe : il parlait avec feu à Hippolyte, qui faisait partie de la bande et écoutait son ami d’un air moqueur.

Le prince offrit des sièges à ces messieurs. Ils étaient tous fort jeunes, et cette extrême jeunesse prêtait à leur démarche un caractère plus insolite encore. Ivan Fédorovitch Épantchine, qui ne comprenait rien à l’incident, s’indigna même à la vue de pareils jouvenceaux, et il aurait à coup sûr protesté d’une façon quelconque, sans la passion, étrange pour lui, avec laquelle sa femme s’intéressait aux affaires personnelles du prince Léon Nikolaïévitch. Il resta, moitié par curiosité, moitié par bonté d’âme, espérant que sa présence