Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/381

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tion de monsieur Keller ; c’est encore une calomnie. À mon avis, le total des sommes qui ont été dépensées pour moi reste fort au-dessous de dix mille roubles, mais je me suis arrêté à ce chiffre, et vous conviendrez vous-mêmes que, réglant une dette, je ne pouvais pas offrir davantage à monsieur Bourdovsky, si bien disposé que je fusse pour lui : la délicatesse même ne me le permettait pas, car j’aurais eu l’air, non de m’acquitter envers lui, mais de lui faire une aumône. Je ne sais pas, messieurs, comment vous ne comprenez pas cela ! Du reste, je comptais bien ne pas m’en tenir là, mon intention était d’intervenir amicalement, par la suite, pour adoucir le sort du malheureux monsieur Bourdovsky. Évidemment il a été trompé, car, sans cela, il n’aurait pas pu consentir à une bassesse telle que, par exemple, la révélation scandaleuse au sujet de sa mère dans l’article de monsieur Keller… Mais enfin, messieurs, pourquoi vous emportez-vous encore ? Nous ne parviendrons donc jamais à nous comprendre ! Eh bien, l’événement m’a donné raison ! Je viens de me convaincre par mes propres yeux que ma conjecture était juste ! ajouta le prince en s’échauffant.

Il voulait calmer ses auditeurs, et il ne s’apercevait pas que ses paroles avaient pour seul effet de les irriter encore plus.

— Comment ? De quoi vous êtes-vous convaincu ? lui demandèrent-ils avec colère.

— D’abord, j’ai pu à présent me faire une idée très-exacte de monsieur Bourdovsky, je vois moi-même ce qu’il est… C’est un homme innocent, mais que tout le monde trompe ! Un homme sans défense… Aussi dois-je être indulgent pour lui.

En second lieu, Gabriel Ardalionovitch, que j’avais chargé de cette affaire et dont j’étais sans nouvelles depuis longtemps, — car je me trouvais en voyage, et, revenu à Pétersbourg. J’ai été malade pendant trois jours, — Gabriel Ardalionovitch, il y a une heure, dès sa première entrevue avec moi, m’a appris qu’il avait éventé tous les desseins de Tchébaroff, qu’il possédait des preuves, et que Tchébaroff était précisément ce