Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/388

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

seulement établir, pour l’édification de tous les intéressés, que si Pavlichtcheff a témoigné tant de bienveillance à votre mère, monsieur Bourdovsky, c’est uniquement parce qu’elle était la sœur d’une jeune fille dont il avait été amoureux dans sa première jeunesse et qu’il aurait certainement épousée si elle n’était pas morte subitement. J’ai des preuves que cette circonstance absolument certaine n’a laissé qu’un souvenir très-faible, ou, pour mieux dire, qu’elle est maintenant tout à fait oubliée. Je pourrais expliquer comment votre mère, quand elle n’avait encore que dix ans, fut recueillie par monsieur Pavlichtcheff, qui pourvut à son éducation et plus tard lui constitua une dot importante. Cette affectueuse sollicitude inquiéta les nombreux collatéraux de Nicolas Andréiévitch ; ils lui supposèrent même l’intention d’épouser sa protégée. Mais, en fin de compte, arrivée à l’âge de vingt ans, elle donna sa main à un employé qui remplissait les fonctions d’arpenteur, monsieur Bourdovsky. Je pourrais même prouver péremptoirement que la jeune fille fit un mariage d’inclination. Des faits recueillis par moi il résulte que votre père, monsieur Bourdovsky, après avoir touché les quinze mille roubles formant la dot de sa femme, quitta le service pour se lancer dans des entreprises commerciales ; comme c’était un homme tout à fait dépourvu d’esprit pratique, il fut trompé, perdit tout ce qu’il avait, puis se mit à boire pour oublier son malheur. Ces excès abrégèrent son existence, et il mourut huit ans après avoir épousé votre mère. Celle-ci, — elle-même le déclare, — resta dans la misère et serait morte de faim sans la généreuse assistance de Pavlichtcheff, qui lui alloua une pension annuelle de six cents roubles. Ensuite, d’innombrables témoignages établissent qu’il s’attacha extrêmement à vous dès votre jeune âge. De ces témoignages corroborés par l’attestation de votre mère, il ressort que Pavlichtcheff vous aima surtout parce que, dans votre enfance, vous paraissiez bègue, chétif et malingre. Or Nicolas Andréiévitch, — la chose m’est démontrée, — eut toute sa vie une prédilection