Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/413

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une trace, pas une action ! je n’ai pas propagé une seule idée !… Ne vous moquez pas de l’imbécile ! Oubliez-le ! Oubliez-le à jamais… je vous en prie, n’ayez pas la cruauté de vous souvenir de lui ! Savez-vous que, si je n’étais pas phthisique, je me tuerais ?…

Quoiqu’il parût avoir envie de parler encore longtemps, il se tut, se laissa tomber dans son fauteuil, et, couvrant son visage de ses mains, se mit à pleurer comme un petit enfant.

— Eh bien, maintenant, que voulez-vous qu’on fasse de lui ? s’écria Élisabeth Prokofievna, qui s’élança vers le malade, lui prit la tête et la serra avec force contre sa poitrine, tandis qu’il sanglotait convulsivement. — Allons, allons, allons ! Allons, ne pleure donc pas, allons, assez, tu es un bon enfant ! Dieu te pardonnera à cause de ton ignorance, allons, assez, sois homme… Et puis, tout à l’heure, tu seras honteux d’avoir pleuré…

— Là-bas, dit Hippolyte en s’efforçant de relever un peu sa tête, — j’ai un frère et des sœurs, des enfants en bas âge, de pauvres petits innocents… Elle les pervertira ! Vous êtes une sainte ! vous êtes vous-même… un enfant, — sauvez-les ! Arrachez-les à cette… elle… c’est une honte… Oh ! venez-leur en aide, secourez-les, Dieu vous rendra cela au centuple, pour l’amour de Dieu, pour l’amour du Christ !…

— Parlez donc, enfin, Ivan Fédorovitch ; que faire maintenant ? cria d’une voix irritée Élisabeth Prokofievna : — je vous en prie, rompez votre majestueux silence ! Si vous ne prenez pas une décision, sachez que moi-même je passerai la nuit ici ; votre autocratie m’a assez tyrannisée !

La générale questionnait avec exaltation, avec colère, et attendait une réponse immédiate. Mais, dans des cas semblables, les assistants, fussent-ils même nombreux, se contentent d’observer en silence : ils ne veulent rien prendre sur eux, se réservant d’exprimer plus tard leurs idées. Parmi les personnes réunies chez le prince il y en avait qui, comme Barbara Ardalionovna, par exemple, seraient volontiers restées là jusqu’au lendemain matin sans proférer un seul mot.