Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/50

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— Ainsi vous avez toujours l’intention de louer un logement ?

— Oh ! oui, sans doute.

— D’après vos paroles, je pensais que vous comptiez vous installer chez moi.

— Pour cela il aurait fallu tout au moins que vous me l’eussiez proposé, et j’avoue que, même en ce cas, je n’y aurais pas consenti. Non que j’aie quelque raison de refuser, mais parce que… cela n’est pas dans mon caractère.

— Alors j’ai bien fait de ne pas vous inviter. Permettez-moi, prince, de tirer la conclusion de notre entretien : nous venons de reconnaître, vous et moi, qu’il ne peut être question entre nous de parenté, — quelque flatteur que cela eût été pour moi, bien entendu, — par conséquent…

— Par conséquent, je n’ai plus qu’à m’en aller ? acheva le visiteur, qui se leva en souriant d’un air gai, bien que sa situation fût évidemment des plus critiques. — En vérité, général, malgré mon inexpérience absolue de la vie pétersbourgeoise, je pressentais que notre entrevue ne pouvait aboutir à un autre résultat. Eh bien, mieux vaut peut-être qu’il en soit ainsi… Du reste, quand j’ai écrit, on n’a pas non plus répondu à ma lettre… Allons, adieu et pardonnez-moi de vous avoir dérangé.

La physionomie du prince respirait en ce moment une bonhomie si franche, son sourire était si exempt de toute amertume qu’à cette vue un changement instantané se produisit dans les dispositions du général.

— Vous savez, prince, dit-il d’une voix qui n’était plus la même que tout à l’heure, — moi, c’est vrai, je ne vous connais pas, mais Élisabeth Prokofievna voudra peut-être vous voir à cause de la communauté du nom… Veuillez attendre un instant, si vous n’êtes pas trop pressé.

— Oh ! tout mon temps est à moi, répondit le visiteur, et il déposa aussitôt sur la table son chapeau mou à bords arrondis. — Je l’avoue, je comptais que peut-être Élisabeth Prokofievna se rappellerait avoir reçu une lettre de moi.