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l’idée lui étant venue d’aller visiter son domaine, il remarqua soudain dans sa petite maison rustique, parmi les enfants de son régisseur, une petite fille de douze ans, vive, intelligente, et qui promettait d’être plus tard une fort belle femme ; sous ce rapport Afanase Ivanovitch avait un flair infaillible. Il ne fit cette fois qu’un court séjour dans sa propriété, néanmoins il eut le temps de prendre certaines dispositions ; un changement complet s’opéra dans l’éducation de la fillette : celle-ci fut confiée à une institutrice suisse, femme âgée, respectable, et très-expérimentée dans son métier, qui, durant les quatre ans qu’elle passa auprès de son élève, lui enseigna le français et les diverses sciences dont l’acquisition est indispensable à une demoiselle bien élevée.

Dans un village d’une province éloignée Totzky possédait un autre domaine, celui-ci peu considérable, où se trouvait une petite maison de bois récemment construite et meublée avec beaucoup de goût. Comme par un fait exprès, la localité s’appelait Otradnoié[1]. À une verste de là habitait une propriétaire veuve et sans enfants. Lorsque Nastia eut terminé ses études, cette dame, munie des instructions et pleins pouvoirs d’Afanase Ivanovitch, alla chercher la jeune fille et, l’ayant amenée à Otradnoié, s’installa avec elle dans la paisible maisonnette. Nastia eut, pour la servir, une vieille femme de charge et une jeune camériste fort experte. Il y avait là des instruments de musique, une jolie bibliothèque ad usum puellarum, des tableaux, des estampes, des crayons, des pinceaux, des couleurs, une admirable levrette, et, au bout de quinze jours, Totzky lui-même arriva… Dès lors il parut affectionner tout particulièrement ce modeste hameau perdu au milieu des steppes ; chaque été il y venait passer deux ou trois mois. Ainsi s’écoulèrent quatre années d’un bonheur élégant et calme.

Un jour, — c’était à l’entrée de l’hiver, quatre mois après un voyage d’Afanase Ivanovitch à Otradnoié où, cette fois, il

  1. La Consolation.