Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/101

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serie, qu’il a la manie de l’éloquence judiciaire et qu’il veut passer des examens. Je m’attends à une fameuse parodie.

— Ma conclusion est énorme, répondit d’une voix tonnante Lébédeff. — Mais examinons tout d’abord la situation psychologique et juridique du criminel. Nous voyons que, malgré l’impossibilité de se procurer d’autres comestibles, le coupable, ou, pour ainsi dire, mon client a plusieurs fois, durant sa curieuse existence, manifesté des velléités de repentir et renoncé à la nourriture ecclésiastique. Les faits mettent ce point hors de doute : il a mangé cinq ou six petits enfants, chiffre relativement insignifiant, mais par contre significatif à un autre point de vue. Il est évident que bourrelé de remords (car mon client a de la religion et de la conscience, je le prouverai), désireux d’atténuer autant que possible son péché, il a, par manière d’essai, substitué six fois la nourriture séculière à la nourriture monacale. Que ç’ait été pour faire un essai, on n’en peut douter ; car, s’il s’était agi simplement pour lui de varier ses plaisirs gastronomiques, le chiffre de six serait trop mince : pourquoi six seulement et pas trente ? Mais si ce n’était qu’un essai exclusivement inspiré par la crainte de commettre de nouveaux sacrilèges, alors le chiffre de six se comprend très-bien ; en effet, six tentatives pour calmer les remords de la conscience suffisent amplement, attendu que ces essais ne pouvaient pas être heureux. Et d’abord, à mon avis, l’enfant est trop petit, je veux dire qu’il n’est pas assez gros, en sorte que, pour un temps donné, il aurait fallu trois ou quatre fois plus d’enfants que de moines : le péché, diminué d’un côté, se serait donc trouvé accru de l’autre, la quantité suppléant à la qualité. Bien entendu, messieurs, en raisonnant ainsi je me place au point de vue d’un coupable du moyen âge. Quant à moi, homme du dix-neuvième siècle, je raisonnerais peut-être autrement, je vous en préviens, par conséquent vous n’avez pas à vous moquer de moi, messieurs, et de votre part, général, cela est tout à fait inconvenant. En second lieu, suivant mon opinion personnelle, l’enfant est un aliment