Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/120

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ment possession de moi que depuis trois jours, depuis cette soirée passée à Pavlovsk. La première fois que je me suis senti pleinement pénétré de cette pensée, c’est sur la terrasse du prince, juste au moment où je m’étais imaginé de faire un dernier essai de la vie : je voulais voir des hommes et des arbres (il paraît que je l’ai dit moi-même), je m’échauffais, je soutenais le droit de Bourdovsky, « mon prochain », je rêvais qu’ils allaient tous m’ouvrir leurs bras et me serrer contre leurs poitrines, qu’il y aurait entre eux et moi je ne sais quel échange de pardon ; en un mot, j’ai fini comme un imbécile. Et voilà que dans ces mêmes instants se produisit aussi en moi la « conviction définitive ». À présent je me demande comment elle s’est fait attendre pendant six mois entiers ! Je me savais positivement atteint d’un mal qui ne pardonne pas, et ne me faisais aucune illusion, mais j’éprouvais d’autant plus ardemment le désir de vivre que je me rendais mieux compte de mon état ; je me raccrochais à la vie, je voulais vivre coûte que coûte. J’admets que j’aie pu alors m’irriter contre la destinée aveugle et sourde qui, assurément sans savoir pourquoi, avait décidé de m’écraser comme une mouche ; mais comment se fait-il que je ne m’en sois pas tenu à la colère ? Pourquoi donc ai-je commencé à vivre, sachant que ce n’était pas la peine de commencer ; ai-je tenté un essai dont je reconnaissais d’avance l’inutilité ? Et pourtant je ne pouvais même pas lire un livre jusqu’au bout, j’avais renoncé à la lecture : à quoi bon lire, à quoi bon s’instruire pour six mois ? Cette pensée m’a plus d’une fois fait jeter le livre que j’avais en main.

« Oui, le mur de la maison Meyer pourrait en raconter long ! J’y ai noté bien des choses. Il n’y avait pas sur ce sale mur une seule tache que je ne connusse. Maudit mur ! Et pourtant il m’est plus cher que tous les arbres de Pavlovsk, c’est-à-dire qu’il devrait l’être, si à présent tout ne m’était pas égal.

« Je me rappelle maintenant avec quel avide intérêt je m’étais mis alors à suivre leur vie ; jamais elle ne m’avait