Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/138

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tremblante qui s’est détachée d’un arbre ; mais dès que, — pour la première fois depuis une heure, — il eut promené ses yeux sur l’assistance, le mépris le plus hautain, le plus offensant se manifesta dans son regard et dans son sourire. Il avait hâte de provoquer ses auditeurs. Ceux-ci, de leur côté, étaient remplis d’indignation. Tous se levèrent bruyamment, sous l’empire d’impressions troubles et malsaines auxquelles la fatigue, le vin et la tension des nerfs donnaient un caractère particulier d’acuité.

Hippolyte quitta soudain sa place, comme si on l’en avait brusquement arraché.

— Le soleil est levé ! cria-t-il en apercevant les cimes des arbres baignées de lumière et en les montrant au prince comme un prodige : — il est levé !

— Vous pensiez qu’il ne se lèverait pas, sans doute ? observa Ferdychtchenko.

— Il va encore faire atrocement chaud aujourd’hui, grommela d’un ton vexé Gabriel Ardalionovitch qui, son chapeau à la main, bâillait et s’étirait les membres. — Partons-nous, Ptitzine ?

Hippolyte entendit ces mots avec une stupéfaction profonde ; tout à coup il pâlit affreusement et se mit à trembler.

— Vous faites montre de votre indifférence exprès pour me blesser, dit-il, les yeux fixés sur le visage de Gania, — vous êtes un polisson !

— Eh bien, c’est le diable sait quoi ; se déboutonner ainsi ! brailla Ferdychtchenko : — quelle faiblesse phénoménale !

— C’est simplement un imbécile, déclara Gania. Hippolyte s’efforça de dompter son agitation.

— Messieurs, commença-t-il en tremblant toujours et en s’interrompant à chaque mot, — je comprends que j’aie pu m’attirer votre ressentiment personnel, et… je regrette de vous avoir assommés avec ce délire (il indiqua du geste son manuscrit), mais, du reste, mon regret est de ne vous avoir pas assommés du tout… (il sourit bêtement) ; ai-je été assommant, Eugène Pavlitch ? ajouta-t-il en s’avançant sou-