Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/144

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homme, mais celui-ci pressa immédiatement la détente. Le chien s’abattit avec un petit bruit sec, toutefois aucune détonation ne se produisit. Lorsque Keller prit Hippolyte dans ses bras, ce dernier s’y laissa tomber comme privé de connaissance : peut-être se croyait-il déjà tué. Keller avait prestement saisi le pistolet. On s’empara d’Hippolyte, on alla chercher une chaise sur laquelle on le fit asseoir, et tous criant, questionnant, se pressèrent autour de lui. Chacun avait entendu le léger bruit du chien, et l’auteur de cette tentative de suicide était vivant ; il n’avait même aucune égratignure. Assis sur sa chaise, Hippolyte, sans comprendre ce qui se passait, promenait sur tous les visages un regard vide de pensée. En ce moment arrivèrent au pas de course Lébédeff et Kolia.

— Le pistolet a raté ? demandaient les uns.

— Peut-être même n’était-il pas chargé ? hasardaient les autres.

— Il est chargé ! dit Keller après avoir examiné l’arme ; — mais…

— Se peut-il que le coup ne soit pas parti ?

— Il n’y avait pas de capsule, expliqua le boxeur.

Il serait difficile de raconter la pitoyable scène qui suivit. À la frayeur du premier moment succédèrent aussitôt des éclats de rire ; dans l’hilarité de plusieurs se révélait même une satisfaction maligne. Sanglotant comme dans une attaque de nerfs, se tordant les mains, Hippolyte allait de l’un à l’autre ; il s’approcha même de Ferdychtchenko, lui prit les deux mains et lui jura qu’il avait oublié, « tout à fait oublié » de mettre la capsule, que c’était une pure inadvertance de sa part et non un fait exprès : toutes les capsules étaient là, dans la poche de son gilet, il y en avait dix (il les montra à tout le monde) ; il n’avait pas amorcé plus tôt parce qu’il craignait que le pistolet ne fît par hasard explosion dans sa poche, mais il comptait toujours mettre la capsule quand il le faudrait, et, tout d’un coup, il l’avait oublié. Le jeune homme s’empressa de donner ces