Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/16

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perds ! Bien entendu, mon but, en fin de compte, était de vous emprunter de l’argent, mais vous m’avez fait cette question comme si vous ne trouviez là rien de répréhensible, comme si cela vous paraissait tout naturel.

— Oui… de votre part c’est tout naturel.

— Et vous n’êtes pas révolté ?

— Mais pourquoi donc le serais-je ?

— Écoutez, prince, je demeure ici depuis hier soir, d’abord parce que j’ai une estime particulière pour l’archevêque français Bourdaloue (je l’ai savouré chez Lébédeff jusqu’à trois heures), ensuite et surtout (je vous jure par tout ce que j’ai de plus sacré que je vous dis la vérité la plus pure) je suis resté parce que je voulais, pour ainsi dire, en vous faisant ma confession franche et complète, aider par cela même à mon propre développement. Telle était ma pensée, et je fondais en larmes vers quatre heures, lorsque je me suis endormi. Croirez-vous maintenant à la parole d’un homme très-noble ? au moment où je m’assoupissais, sincèrement rempli de larmes intérieures, et, pour ainsi dire, extérieures (car j’avais fini par sangloter, je m’en souviens !), il m’est venu à l’esprit une idée infernale : « Au bout du compte, si, après ma confession, je lui empruntais de l’argent ? » Cette confession a donc été un truc destiné à vous monter le coup : je voulais, par ce moyen, m’insinuer dans vos bonnes grâces pour vous taper ensuite de cent cinquante roubles. N’est-ce pas une bassesse, selon vous ?

— Ce que vous dites n’est pas exact. L’un s’est mêlé à l’autre, voilà tout. Les deux idées se sont confondues, ce qui a lieu très-fréquemment. La même chose m’arrive sans cesse. Du reste, je trouve que cela ne vaut rien et, vous savez, Keller, c’est ce que je me reproche le plus. Quand vous parliez tout à l’heure, il me semblait entendre ma propre histoire. Parfois même j’ai pensé que tous les hommes étaient ainsi, continua le prince, pour qui ce sujet de conversation paraissait être d’un profond intérêt, — et cela me consolait un peu, car il est extrêmement difficile de lutter contre ces idées