Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jours je me taisais. Souvent je voulais parler, mais, en vérité, je ne savais parfois que dire. Vous savez, dans certains cas, le mieux est de garder le silence. Oh ! je l’ai aimée ; je l’ai beaucoup aimée….. mais ensuite… ensuite… ensuite elle a tout deviné.

— Qu’est-ce qu’elle a deviné ?

— Que j’avais seulement pitié d’elle, mais que je….. ne l’aimais pas.

— Qu’en savez-vous ? peut-être qu’elle aimait en effet ce… propriétaire avec qui elle a filé ?

— Non, je sais tout ; elle ne faisait que se moquer de lui.

— Et de vous elle ne s’est jamais moquée ?

— N-non. Elle riait de colère ; elle m’accablait des plus violents reproches quand elle était fâchée, — et elle-même souffrait ! Mais… ensuite… oh ! ne me faites pas penser à cela, ne m’en parlez plus !

Il cacha son visage dans ses mains.

— Et savez-vous que presque chaque jour elle m’écrit ?

— Ainsi c’est vrai ! s’écria le prince saisi d’effroi : — je l’avais entendu dire, mais je ne voulais pas le croire.

— Qui est-ce qui vous a dit cela ? demanda Aglaé inquiète.

— Rogojine me l’a dit hier, mais sans s’expliquer très-nettement.

— Hier ? Hier matin ? Hier, à quelle heure ? Avant la musique ou après ?

— Après ; dans la soirée, il était alors plus de onze heures.

— A-ah, allons, si c’est Rogojine….. Mais savez-vous de quoi elle me parle dans ces lettres ?

— Je ne m’étonne de rien ; elle est folle.

— Voici ces lettres (Aglaé tira de sa poche trois lettres contenues chacune dans une enveloppe distincte, et les jeta devant le prince). Depuis huit jours elle me supplie de vous épouser. Elle….. eh bien, oui, elle est intelligente, quoique folle, et vous avez raison de dire qu’elle a beaucoup plus d’esprit que moi… Elle m’écrit qu’elle m’adore, que chaque jour elle cherche l’occasion de me voir, ne fût-ce que de loin.