Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avez en ce moment de si bons yeux… des yeux heureux.

— Est-ce possible ? demanda avec vivacité le prince, et il se mit à rire joyeusement.

Mais Viéra, simple et sans cérémonies comme un garçon, se sentit confuse tout à coup ; elle rougit de plus belle et s’éloigna à la hâte sans cesser de rire.

« Quelle… excellente personne !… » pensa le prince et il oublia aussitôt la jeune fille. Dans un coin de la terrasse se trouvait une couchette en face d’une petite table ; il alla s’y asseoir, couvrit son visage de ses mains et resta dix minutes dans cette position ; tout à coup, par un mouvement brusque et inquiet, il plongea la main dans la poche de côté de son vêtement et en tira les trois lettres.

Mais la porte s’ouvrit de nouveau et Kolia entra. Le prince remit les lettres dans sa poche ; il était comme heureux de cette diversion qui retardait pour lui un moment pénible.

Kolia s’assit sur la couchette.

— Eh bien, voilà un événement ! commença-t-il, allant droit au fait comme tous ses pareils. — Comment considérez-vous Hippolyte à présent ? Vous n’avez plus d’estime pour lui ?

— Pourquoi donc ?… Mais, Kolia, je suis fatigué… Et puis il vaudrait mieux ne pas revenir sur un sujet si triste… Comment va-t-il pourtant ?

— Il dort et il dormira encore deux heures. Je comprends, vous n’avez pas couché chez vous, vous êtes allé vous promener dans le parc… sans doute, vous étiez agité… on le serait à moins !

— Comment savez-vous que je suis allé me promener dans le parc et que je n’ai pas couché à la maison ?

Viéra me l’a dit tout à l’heure. Elle m’avait recommandé de vous laisser tranquille, mais c’était plus fort que moi, je voulais vous voir une petite minute. Je viens de passer deux heures auprès du malade ; à présent c’est Kostia Lébédeff qui me remplace. Bourdovsky est parti. Eh bien, couchez-vous, prince, bonne… non, c’est bonjour qu’il faut dire. Mais, vous savez, je suis renversé !