Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dames, elle se trouvait, comme nous l’avons dit, dans une disposition d’esprit fort chagrine. À travers sa tristesse perçait une sorte de moquerie amère. À Pavlovsk, l’habitation de Ptitzine était une maison de bois, laide, mais vaste, sise dans une rue poussiéreuse ; cet immeuble allait bientôt devenir sa propriété et déjà il pensait à le vendre. Lorsqu’elle monta le perron, Barbara Ardalionovna entendit un grand bruit à l’étage supérieur, des cris étaient proférés par son frère et par son père, elle reconnut leurs voix. En entrant dans la salle, elle aperçut Gania qui courait d’un coin de cette pièce à l’autre. Le jeune homme était pâle de rage et peu s’en fallait qu’il ne s’arrachât les cheveux. À cette vue, Barbara Ardalionovna fronça le sourcil, et, sans ôter son chapeau, se laissa tomber d’un air las sur un divan. Comprenant très-bien que, si elle ne demandait pas tout de suite à son frère pourquoi il courait ainsi, son silence l’irriterait certainement, elle se hâta de prendre la parole.

— C’est toujours comme à l’ordinaire ?

— Qu’est-ce que tu dis ? s’écria Gania : — comme à l’ordinaire ! Non, le diable sait ce qui se passe maintenant ici, mais ce n’est plus comme à l’ordinaire ! Le vieux est devenu enragé… la mère brait. Vraiment, Varia, tu auras beau dire, je le mettrai à la porte ou… ou moi-même je vous quitterai, ajouta-t-il, se rappelant sans doute qu’il faut être chez soi pour avoir le droit de mettre les gens à la porte.

— Il faut être indulgent, murmura Varia.

— Indulgent pour quoi ? Pour qui ? reprit Gania rouge de colère ; — pour ses vilénies ? Non, dis tout ce que tu voudras, cela ne peut pas durer ainsi ! C’est impossible, impossible, impossible ! Et quel genre ! C’est lui qui est dans son tort et il fait le fendant plus que jamais, « Je ne veux pas entrer par la porte, démolis la muraille !… » Qu’est-ce que tu as ? Ton visage est tout défait.

— Peu importe comment est mon visage, répondit-elle d’un ton de mauvaise humeur.

Gania attacha sur sa sœur un regard curieux.