Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/211

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le reçût dans la maison. Gabriel Ardalionovitch remarqua cette omission trop étrange pour n’être pas intentionnelle, et il en fut profondément blessé.

Il n’avait pas menti en parlant à sa sœur de l’amélioration survenue dans l’état du malade. Hippolyte, en effet, allait un peu mieux qu’auparavant, on pouvait s’en apercevoir au premier coup d’œil jeté sur lui. Il entra dans la chambre sans se presser, après les autres, un sourire railleur et malveillant sur les lèvres. Nina Alexandrovna arriva avec un visage bouleversé. (Durant ces six mois elle avait beaucoup changé, elle était maigrie ; depuis que la vieille dame avait marié sa fille et qu’elle habitait chez les Ptitzine, elle ne se mêlait plus guère, — ostensiblement du moins, — des affaires de ses enfants.) Kolia paraissait soucieux et intrigué ; ignorant les vraies causes de ce nouvel orage domestique, il ne comprenait pas grand’chose à ce qu’il appelait « la folie du général », mais, à la vue des scènes épouvantables que son père faisait continuellement, il ne pouvait douter qu’un changement extraordinaire ne se fût opéré en lui. Autre chose encore inquiétait l’enfant : depuis trois jours le vieillard avait complètement cessé de boire ; en outre, il s’était brouillé avec Lébédeff et avec le prince. Kolia venait de rentrer à la maison, rapportant une demi-bouteille d’eau-de-vie qu’il avait achetée de son propre argent.

— En vérité, maman, assurait-il à Nina Alexandrovna avant de descendre à la salle, — en vérité, mieux vaut qu’il boive. Voilà déjà trois jours qu’il n’a pas pris la plus petite goutte ; il a le spleen, naturellement. Cela vaut mieux, à coup sûr ; je lui en portais bien quand il était détenu à la prison pour dettes…

Après avoir ouvert la porte, le général frémissant d’indignation s’arrêta sur le seuil.

— Monsieur, cria-t-il d’une voix de tonnerre à Ptitzine, — si, en effet, vous avez résolu de sacrifier à un blanc-bec et à un athée un vieillard respectable, votre père ou, du moins, le père de votre femme, un homme qui a servi son empe-