Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/214

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Prenez garde, ne me poussez pas à bout, je dirai tout… Qu’est-ce que vous êtes allé faire hier chez les Épantchine ? Et vous êtes un vieillard, un homme à cheveux blancs, un père de famille ! C’est du propre !

— Tais-toi, Ganka ! se mit à crier Kolia : — tais-toi, imbécile !

— Mais en quoi donc lui ai-je manqué ? Quelle insulte peut-il me reprocher ? répétait Hippolyte d’un ton toujours moqueur, il est vrai. — Pourquoi me traite-t-il de vis, vous l’avez entendu ? C’est lui-même qui s’accroche à moi ; il est venu me trouver tout à l’heure et il a commencé à me parler d’un certain capitaine Éropiégoff. Je ne tiens pas du tout à votre société, général ; je l’ai même évitée jusqu’ici, vous le savez très-bien. Que m’importe le capitaine Éropiégoff, convenez-en vous-même ? Ce n’est pas pour le capitaine Éropiégoff que je suis venu ici. Je me suis borné à lui dire tout haut mon opinion, à savoir que peut-être ce capitaine Éropiégoff n’avait jamais existé. Là-dessus il a jeté feu et flammes.

— Certainement, il n’a jamais existé ! déclara avec force Gania.

Sur le moment le général demeura interdit et ne put que promener autour de lui un regard hébété. Dans sa stupeur, il ne trouva d’abord rien à répondre au démenti si formel que venait de lui donner son fils.

— Eh bien, voilà, vous l’avez entendu, s’écria Hippolyte avec un rire de triomphe, — votre propre fils dit aussi qu’il n’y a jamais eu de capitaine Éropiégoff !

À ces mots, le vieillard essaya enfin de reprendre la parole.

— J’ai parlé de Kapiton Éropiégoff, et non d’un capitaine… Il s’agit de Kapiton… un sous-lieutenant démissionnaire, Éropiégoff… Kapiton, fit-il péniblement.

— Mais il n’y a pas eu non plus de Kapiton ! reprit Gania exaspéré.

— Pour… pourquoi n’y en a-t-il pas eu ? balbutia le général, et son visage se couvrit de rougeur.