Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/228

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— Assez ! Vous m’avez compris, et je suis tranquille, acheva-t-il tout à coup en se levant ; — un cœur comme le vôtre ne peut pas ne pas comprendre un homme affligé. Prince, vous êtes noble comme l’idéal ! Que sont les autres vis-à-vis de vous ? Mais vous êtes jeune et je vous bénis. En fin de compte, je suis venu vous prier de m’indiquer une heure où je puisse avoir avec vous un entretien sérieux, et voilà en quoi consiste mon principal espoir. Je cherche une amitié et un cœur, prince ; je n’ai jamais pu venir à bout des exigences de mon cœur.

— Mais pourquoi pas tout de suite ? Je suis prêt à vous entendre…

— Non, prince, non ! répliqua vivement le général : — pas tout de suite ! Tout de suite est un rêve ! C’est trop important, trop important ! Cette heure de conversation décidera de mon sort. Ce sera mon heure, et je ne voudrais pas que, dans un moment si sacré, le premier venu, un insolent, put nous interrompre, — il se pencha soudain à l’oreille du prince et poursuivit à voix basse d’un air étrange, mystérieux, presque effrayé, — un insolent qui ne vaut pas le talon… de votre botte, prince adoré ! Oh ! je ne dis pas : de ma botte ! Notez que je n’ai pas parlé de la mienne ; car je me respecte trop pour dire cela sans ambages ; mais vous seul êtes capable de comprendre qu’en passant sous silence dans le cas présent le talon de ma botte, je révèle peut-être une fierté, une dignité extraordinaire. Sauf vous, personne ne comprendra cela, et lui moins que tout autre. Il ne comprend rien, prince ; il est absolument incapable de comprendre, absolument ! Il faut avoir du cœur pour comprendre !

À la fin, le prince fut presque effrayé et il fixa au général une entrevue pour le lendemain à la même heure. Le vieillard se retira grandement réconforté et consolé. Le soir, entre six et sept heures, le prince fit prier Lébédeff de venir une minute auprès de lui.

Lébédeff « tint à honneur », comme il le dit en entrant, de