Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/255

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tourmenter un peu leur amie d’enfance : il est probable qu’elles avaient fini par se douter du but poursuivi par Varia dans ses incessantes visites.

D’un autre côté, en assurant à Lébédeff qu’il n’avait rien du tout à lui communiquer et qu’aucun changement ne s’était produit dans son existence, le prince assurément ne mentait pas, mais peut-être se trompait-il un peu. Le fait est que, pour tout le monde, il s’était passé quelque chose de fort étrange : sans que rien de nouveau fût arrivé, la situation s’était grandement modifiée. Avec son sûr instinct de femme, Barbara Ardalionovna avait découvert la vérité.

Comment tous les membres de la famille Épantchine acquirent soudain la conviction qu’il était survenu un événement capital pour Aglaé et que son sort allait se décider, — c’est ce que nous expliquerions très-difficilement. Mais dès que cette idée fut entrée dans les esprits, tous prétendirent l’avoir toujours eue : il y avait beaux jours qu’ils s’étaient aperçus de tout cela, la chose était claire pour eux depuis longtemps, depuis le « chevalier pauvre », et même avant, mais ils ne voulaient pas croire alors à une pareille absurdité. Ainsi parlaient Alexandra et Adélaïde ; bien entendu, Élisabeth Prokofievna renchérissait sur ses filles : elle avait tout prévu, tout deviné avant tous les autres, il y avait déjà longtemps que « son cœur était malade » ; que cette assertion fût vraie ou fausse pour le passé, à présent, du moins, l’idée du prince était devenue insupportable à la générale, parce qu’elle lui faisait perdre la tête. Ici surgissait une question qui exigeait une réponse immédiate, et non-seulement la pauvre Élisabeth Prokofievna ne pouvait pas la résoudre, mais, quelques efforts qu’elle fit, elle ne parvenait même pas à la poser devant elle avec une entière netteté. Le point à décider était délicat : « Le prince est-il, oui ou non, un parti avantageux ? Tout cela est-il bon ou mauvais ? Si c’est mauvais (et on n’en peut douter), pourquoi est-ce mauvais ? Et si c’est bon (chose possible aussi), pour-