Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/27

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— Il est agréable d’apprendre cela tout d’un coup ! Seulement est-il possible qu’elle ait une inclination pour toi ? Elle-même te traitait d’« aliéné » et d’« idiot ».

— Vous auriez pu ne pas me répéter cela, observa le prince d’un ton de reproche, mais presque tout bas.

— Ne te fâche pas. C’est une fille volontaire, une folle, une enfant gâtée ; si tel est son bon plaisir, elle ne se gênera pas pour insulter les gens tout haut et se moquer d’eux à leur nez ; j’étais tout à fait comme elle à son âge. Seulement, je t’en prie, ne triomphe pas, mon cher, elle n’est pas à toi, je ne veux pas croire cela, et jamais elle ne le sera ! Je te le dis pour que tu prennes tes mesures dès maintenant. Écoute, jure-moi que tu n’es pas marié à celle-.

Le prince faillit bondir d’étonnement.

— Élisabeth Prokofievna, qu’est-ce que vous dites ?

— Mais tu as été sur le point de l’épouser ?

— J’ai été sur le point de l’épouser, murmura-t-il en baissant la tête.

— Eh bien, tu es amoureux d’elle, s’il en est ainsi ? C’est pour elle que tu t’es rendu ici ? Pour celle- ?

— Je ne suis pas venu pour me marier, répondit le prince.

— Y a-t-il pour toi quelque chose de sacré au monde ?

— Oui.

— Jure que tu n’es pas venu pour épouser celle-.

— Je le jure par tout ce que vous voudrez.

— Je te crois, embrasse-moi. Enfin je respire librement ; mais sache qu’Aglaé ne t’aime pas, avise en conséquence ; elle ne t’épousera pas, tant que je serai au monde ! Tu as entendu ?

— Oui.

Le prince était si confus qu’il ne pouvait regarder en face Élisabeth Prokofievna.

— Prends-en note. Je t’attendais comme une providence (tu ne le méritais pas !), la nuit, j’arrosais mon oreiller de mes larmes, — pas à cause de toi, mon cher, sois tranquille, j’ai un autre chagrin, un chagrin éternel et toujours le