Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/278

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précipitamment et même avec une certaine agitation parfaitement inutile, sans doute parce que « dans cette maison rien ne pouvait se faire comme ailleurs ». Tout s’expliquait par l’impatience d’Élisabeth Prokofievna, qui « avait hâte d’être fixée », et par l’ardente sollicitude des parents pour le bonheur de leur fille chérie. D’ailleurs, la princesse Biélokonsky allait bientôt partir, et, comme on espérait qu’elle s’intéresserait au prince, on tenait beaucoup à ce qu’il fit son entrée dans le monde sous les auspices de cette dame dont le patronage constituait la meilleure des recommandations pour un jeune homme. En supposant qu’un tel mariage ait quelque chose d’étrange, se disaient les époux Épantchine, le « monde » acceptera beaucoup plus facilement le futur d’Aglaé s’il lui est présenté par la toute-puissante « vieille ». En tout cas, tôt ou tard il fallait « montrer » le prince, autrement dit, l’introduire dans la société, dont il n’avait encore aucune idée. Au surplus, il ne s’agissait, dans l’espèce, que d’une soirée intime où on réunirait quelques amis de la maison, en fort petit nombre. Outre la princesse Biélokonsky, on attendait une autre dame, la femme d’un haut dignitaire. En fait de jeunes gens, on ne comptait guère que sur Eugène Pavlovitch qui devait accompagner la princesse.

Le prince fut prévenu trois jours à l’avance qu’on aurait la visite de cette dame ; on ne lui parla de la soirée que la veille du jour où elle devait avoir lieu. Naturellement, il remarqua l’air soucieux des membres de la famille, et certains bouts de phrase lui firent comprendre qu’on n’était rien moins que rassuré sur l’effet qu’il pouvait produire. Mais les Épantchine le croyaient trop simple pour deviner les craintes qu’ils nourrissaient à son sujet ; aussi, en le regardant, tous se sentaient-ils inquiets. Le fait est qu’il n’attachait presque aucune importance à la soirée en question ; ses préoccupations étaient tout autres : d’heure en heure Aglaé devenait plus capricieuse et plus sombre, — cela le tuait. Quand il sut qu’on attendait aussi Eugène Pavlovitch, il manifesta une vive satisfaction, et dit que depuis longtemps il désirait le