Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/284

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personne ; ses vêtements étaient couverts de taches, sa cravate mise de travers, le collet de sa redingote déchiré. Au logis, il faisait un tapage qu’on entendait de chez le prince, bien qu’une petite cour séparât les deux habitations ; une fois, Viéra était venue tout en larmes raconter de pénibles détails d’intérieur. Lorsqu’il se trouva en présence de son locataire, Lébédeff se mit à parler d’une façon fort étrange, en se frappant la poitrine ; ce qu’il disait ressemblait à une confession…

— J’ai reçu… j’ai reçu la récompense de ma perfidie et de ma bassesse… J’ai reçu un soufflet ! acheva-t-il enfin d’un ton tragique.

— Un soufflet ? De qui ?… Et si matin que cela ?

— Si matin ? répéta Lébédeff avec un sourire sarcastique ; — le temps ici ne signifie rien… même pour une punition physique… mais c’est un soufflet moral… moral que j’ai reçu, et non physique !

Tout à coup il s’assit sans cérémonie et commença un récit fort incohérent. Le prince fronça le sourcil et voulut s’en aller, mais soudain quelques mots le frappèrent. Il resta pétrifié d’étonnement… Monsieur Lébédeff racontait d’étranges choses.

D’abord, semblait-il, il était question d’une lettre ; le nom d’Aglaé Ivanovna était prononcé. Puis, à brûle-pourpoint Lébédeff adressa d’amers reproches au prince lui-même ; il paraissait ressortir de ses paroles qu’il avait été offensé par le prince. Au commencement, disait-il, le prince l’avait honoré de sa confiance dans des affaires concernant un certain « personnage » (Nastasia Philippovna), mais ensuite il avait rompu avec lui et l’avait honteusement chassé de sa présence ; le prince avait même poussé l’oubli des procédés jusqu’à refuser grossièrement de répondre à une « innocente question au sujet de prochains changements dans la maison ». Lébédeff avoua avec des larmes d’homme ivre « qu’il n’avait pas pu supporter cela, d’autant plus qu’il savait bien des choses… bien des choses… et par Rogojine, et par Nas-