Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/294

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hiérarchie bureaucratique, ce général était le chef immédiat d’Ivan Fédorovitch qui, par l’effet de son naturel reconnaissant et même d’un amour-propre particulier, se plaisait à le considérer comme son bienfaiteur ; par contre, le grand personnage ne se regardait pas du tout comme le bienfaiteur d’Épantchine ; il était toujours très-froid avec lui, tout en profitant volontiers de sa serviabilité empressée, et il l’aurait remplacé à l’instant même par un autre employé, pour peu que des considérations d’une importance même secondaire eussent exigé ce changement.

Parmi les invités de distinction, il faut encore signaler un barine âgé qui, à tort, il est vrai, — était censé avoir des liens de parenté avec Élisabeth Prokofievna. Riche, bien né, occupant un rang élevé dans le tchin et jouissant d’une santé superbe, ce monsieur était grand parleur et passait pour être un mécontent (du reste, dans le sens le plus anodin du mot) ; c’était même, disait-on, un homme bilieux (ce qui, au surplus, ne laissait pas d’être agréable en lui) ; ses habitudes étaient celles des aristocrates anglais et il avait des goûts britanniques (par exemple, en ce qui concernait le roastbeef saignant, les attelages, les laquais, etc.). En ce moment il s’entretenait avec le « haut fonctionnaire », qui était un de ses meilleurs amis. Une étrange idée était venue à Élisabeth Prokofievna au sujet de ce vieux barine, homme assez léger et assez amateur du sexe : elle pensait qu’un jour ou l’autre il ferait à Alexandra l’honneur de lui demander sa main.

C’étaient là les gros bonnets, ce qu’on aurait pu appeler le dessus du panier. Venaient ensuite d’autres visiteurs plus jeunes, mais qui se distinguaient aussi par de brillantes qualités. Indépendamment du prince Chtch… et d’Eugène Pavlovitch, à ce groupe appartenait le séduisant prince N…, qui jadis avait rempli toute l’Europe de ses prouesses galantes. À présent c’était un homme de quarante-cinq ans, mais il était encore très-bien de sa personne et il possédait un rare talent de conteur. Le prince N… avait de la for-