Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/300

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m’ayez oublié… Vous étiez alors… vous souffriez dans ce temps-là d’une certaine maladie… une fois même j’ai été surpris en vous voyant…

— Je ne me rappelle rien ! répliqua vivement le prince.

La question fut éclaircie à la suite de quelques mots d’explication qu’Ivan Pétrovitch et son interlocuteur échangèrent, le premier très-froidement, le second avec une agitation étonnante : les deux vieilles filles, parentes de feu Pavlichtcheff, qui habitaient son domaine de Zlatoverkhovo et à qui il avait confié l’éducation du prince, se trouvaient être elles-mêmes cousines d’Ivan Pétrovitch. Ce dernier n’en savait pas plus que les autres sur les motifs qui avaient pu déterminer Pavlichtcheff à s’occuper ainsi du petit prince, son fils adoptif. « Je n’ai pas eu alors la curiosité de rechercher cela », dit-il ; en tout cas le vieux barine possédait une excellente mémoire, car il se rappelait même combien l’aînée de ses cousines, Marfa Nikitichna, était sévère pour l’enfant confié à ses soins, « c’était au point qu’une fois j’ai même eu une querelle avec elle à propos de vous, je lui ai reproché son système d’éducation : c’étaient toujours les verges, et fouetter un enfant malade, c’est… vous en conviendrez vous-même… » Il rappela aussi que, par contre, la cadette, Natalie Nikitichna, se montrait fort tendre à l’égard du pauvre petit garçon. « À présent elles demeurent toutes deux, ajouta-t-il, — (seulement je ne sais pas si elles vivent encore), dans le gouvernement de ***, où Pavlichtcheff leur a laissé un petit bien très-convenable. Marfa Nikitichna, parait-il, voulait entrer dans un monastère ; du reste, je ne l’affirme pas ; je confonds peut-être avec une autre… oui, c’est de la veuve d’un médecin qu’on m’a dit cela dernièrement… »

Tandis qu’Ivan Pétrovitch parlait, l’attendrissement et la joie se lisaient dans les yeux brillants du prince. À son tour, il déclara avec une chaleur extraordinaire qu’il ne se pardonnerait jamais, car depuis six mois il avait beaucoup voyagé dans les provinces du centre de la Russie, et il n’avait pas