Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/311

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s’asseoir plus près de la table et le hasard voulut que son fauteuil fût précisément à côté d’un grand et beau vase de Chine placé sur un piédestal. Le prince se trouvait avoir cette potiche presque derrière son coude.

Au moment où il achevait son discours, il se leva brusquement, agita le bras sans penser à rien, eut comme un haussement d’épaules et….. le salon se remplit aussitôt de cris ! Le vase bascula, paraissant d’abord vouloir tomber sur la tête d’un des vieillards, puis il pencha soudain dans le sens opposé et vint se briser avec fracas sur le parquet. L’Allemand qui se trouvait de ce côté eut à peine le temps de faire un saut en arrière. Au bruit de cette chute, à la vue des précieux débris qui jonchaient le tapis, un effarement extraordinaire s’empara de la société ; ce furent dans toute la chambre des exclamations de stupeur ou d’épouvante. Ce que devint alors le prince, nous renonçons à le décrire. Mille sensations l’agitaient, toutes plus troubles, plus cruelles les unes que les autres. Parmi elles cependant il y en avait une qui s’accusait avec une netteté particulière, et cette impression dominante n’était ni la surprise, ni la confusion, ni la crainte ; non, ce qui frappait surtout le prince, c’était la réalisation de la prophétie ! Qu’y avait-il de si saisissant dans cette idée ? Il n’aurait pu se l’expliquer, il se sentait seulement atteint au cœur et il éprouvait comme une terreur superstitieuse. Un instant après, il lui sembla que tout s’élargissait devant lui ; à la frayeur succédaient la sérénité, la joie, l’extase ; sa respiration commençait à être gênée, et… mais il n’en fut ainsi que durant une seconde. Grâce à Dieu, ce n’était pas cela ! Le prince reprit haleine et promena ses yeux autour de lui.

Longtemps il parut ne pas comprendre l’agitation de son entourage, c’est-à-dire qu’il comprenait et voyait tout parfaitement, mais, plongé dans une sorte d’apathie, il ne prenait aucun intérêt aux choses dont il était témoin. Il voyait qu’on ramassait les débris de la potiche, il entendait des paroles échangées rapidement, il remarquait la pâleur