Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/324

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table en déclarant que l’on allait tous ensemble faire une promenade. Formulée d’un ton sec, décidé, péremptoire, cette proposition équivalait à un ordre. Tout le monde sortit, c’est-à-dire la maman, les demoiselles et le prince Chtch….. Élisabeth Prokofievna se mit en marche dans la direction opposée à celle qu’on avait coutume de prendre chaque jour. Ses filles comprirent toutes de quoi il s’agissait, mais elles se turent, de peur d’irriter leur mère. De son côté, comme si elle voulait se soustraire à des reproches ou à des objections possibles, la générale marchait en avant de la bande, sans retourner la tête. À la fin, Adélaïde se permit une observation : « Ce n’était pas là un pas de promenade, la maman allait trop vite, il n’y avait pas moyen de la suivre. » Élisabeth Prokofievna se retourna soudain.

— Voici le fait, dit-elle ; — nous passons maintenant devant sa demeure. Quoi qu’en pense Aglaé, et quoi qu’il arrive plus tard, ce n’est pas un étranger pour nous ; de plus, à présent, il est malheureux et malade ; moi, du moins, je vais entrer un instant chez lui. Vienne qui veut avec moi, les autres peuvent passer leur chemin, la route est libre.

Naturellement, tout le monde entra à sa suite. Comme de juste, le prince s’empressa de renouveler ses excuses pour le vase qu’il avait brisé et… pour le scandale.

— Allons, ce n’est rien, répondit Élisabeth Prokofievna, — ce n’est pas le vase que je plains, mais toi. Ainsi maintenant tu reconnais toi-même que tu as fait un scandale : c’est le cas de dire que « le matin est plus sage que le soir »….. mais cela n’est rien non plus, car chacun voit à présent qu’on ne peut pas t’en vouloir. Allons, au revoir ; si tu t’en sens la force, promène-toi un peu, et ensuite couche-toi : voilà le conseil que je te donne. Et, si le cœur t’en dit, viens chez nous comme auparavant ; sois convaincu une fois pour toutes que, quoi qu’il arrive, tu resteras l’ami de notre maison : le mien, du moins. Je puis, en tout cas, répondre pour moi…

À leur tour, les demoiselles s’associèrent avec chaleur aux