Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/326

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donnait un ordre formel. Elle m’a regardée d’une telle façon que j’en ai eu mal au cœur…

Le prince adressa encore plusieurs questions à Viéra ; il n’en apprit pas plus, mais, par contre, son inquiétude ne fit que s’accroître. Resté seul, il se coucha sur un divan et redevint songeur. « Ils attendent peut-être quelqu’un avant neuf heures, finit-il par supposer, et elle craint que je ne fasse encore des sottises en société. » Sur cette réflexion, il se remit à attendre impatiemment la soirée et à regarder sa montre. L’explication de ce rébus lui fut donnée beaucoup plus tôt qu’il ne le pensait, mais elle-même constituait une nouvelle énigme plus angoissante que la première : une demi-heure après le départ des dames Épantchine arriva Hippolyte ; il était si las, si exténué, qu’à peine entré, avant d’avoir proféré un mot, il tomba littéralement sur un fauteuil, comme un homme privé de connaissance ; puis il eut un violent accès de toux accompagné de crachements de sang. Ses yeux étincelaient et des taches rouges se montraient sur ses joues. Le prince balbutia quelques paroles auxquelles le malade ne répondit pas ; longtemps encore celui-ci se contenta d’agiter le bras comme pour demander qu’on le laissât en repos. À la fin, l’accès se passa.

— Je m’en vais ! articula-t-il avec effort et d’une voix rauque.

— Si vous voulez, je vous reconduirai, proposa le prince.

Il s’était levé à demi, mais il se rappela soudain que tout à l’heure on lui avait défendu de sortir. Hippolyte se mit à rire.

— Je ne m’en vais pas de chez vous, répondit-il d’une voix toujours râlante, — au contraire, j’ai cru devoir venir vous trouver, et cela pour affaire… autrement, je ne vous aurais pas dérangé. Je m’en vais ad patres, et cette fois, paraît-il, c’est sérieux. Capout ! Ce que j’en dis n’est pas pour exciter la compassion, croyez-le bien… je m’étais même couché aujourd’hui à dix heures avec l’intention de ne plus quitter mon lit jusqu’à ce moment-, mais j’ai changé