Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/337

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encore la voix, tandis qu’elle regardait le parquet d’un air morne.

— Pourquoi donc ferais-je cela ? demanda avec un léger sourire Nastasia Philippovna.

La réponse d’Aglaé fut ridiculement maladroite :

— Vous voulez profiter de ma position… de ma présence chez vous…

— Si vous êtes dans cette position, la faute en est à vous et non à moi ! répliqua violemment Nastasia Philippovna : — ce n’est pas moi qui vous ai invitée à cette entrevue, c’est vous qui me l’avez demandée, et jusqu’à présent j’ignore pourquoi.

Aglaé releva la tête et prit un air hautain :

— Retenez votre langue ; vous connaissez mieux que moi le maniement de cette arme, et ce n’est pas une lutte de paroles que je suis venue engager avec vous…

— Ah ! Ainsi vous êtes venue pourtant « engager une lutte » ? Figurez-vous, je pensais que vous étiez plus… spirituelle…

Elles se regardèrent avec une inimitié réciproque et, cette fois, nullement dissimulée. Une de ces femmes était celle-là même qui, si peu de temps auparavant, avait écrit à l’autre les lettres dont nous avons donné connaissance au lecteur. Et voilà que dès la première rencontre, dès les premiers mots échangés, s’évanouissaient tous les sentiments exprimés dans cette correspondance. Eh bien, en ce moment, aucune des quatre personnes réunies dans la chambre ne semblait trouver cela étrange. La veille encore, le prince aurait cru impossible de contempler, même en rêve, une pareille scène ; maintenant il était là, regardant et écoutant comme un homme qui voit se réaliser un ancien pressentiment. Le songe le plus absurde était soudain devenu la réalité la plus tangible. Une des deux femmes méprisait tellement l’autre en cet instant et désirait tellement le lui déclarer (peut-être n’était-elle venue que pour cela, comme dit le lendemain Rogojine) que cette autre, nonobstant son caractère fantas-