Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/341

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poëmes et que vous êtes « trop instruite pour votre… position » ; il vous considère comme une victime des livres et du désœuvrement ; ajoutez à cela la vanité, voilà toutes vos raisons…

— Et vous, vous n’êtes pas une oisive ?

Comme on le voit, l’explication entre les deux rivales avait inopinément dégénéré en une querelle des plus violentes. Nous disons : inopinément, car Nastasia Philippovna, en se rendant à Pavlovsk, nourrissait encore certains rêves, quoique, sans doute, elle augurât plutôt mal que bien de cette entrevue. Mais Aglaé s’était tout de suite laissé entraîner par l’impétuosité de son caractère et n’avait pu se refuser le plaisir de satisfaire ses ressentiments. Nastasia Philippovna fut même surprise de voir la jeune fille dans cet état ; elle la contemplait, osant à peine croire au témoignage de ses sens, et, dans le premier moment, sa présence d’esprit l’abandonna : Avait-elle lu trop de poëmes, comme le présumait Eugène Pavlovitch, ou était-elle simplement une folle, comme le prince en avait la conviction ? — En tout cas, cette femme parfois si cynique et si insolente dans ses façons était, au fond, beaucoup plus pudique, plus tendre et plus confiante qu’on n’aurait pu le supposer de prime abord. À la vérité, il y avait en elle de la fantaisie, du romanesque et de la chimère, mais aussi de la force et de la profondeur… Le prince comprenait cela ; son visage prit une expression de souffrance. Aglaé s’en aperçut et frémit de colère.

— Comment osez-vous me parler ainsi ? fit-elle avec un dédain ineffable, en réponse à la remarque de Nastasia Philippovna.

— Vous avez mal entendu apparemment, répliqua celle-ci étonnée. — Comment vous ai-je parlé ?

— Si vous vouliez être une femme honnête, pourquoi alors n’avez-vous pas quitté votre séducteur, Totzky, simplement… sans scènes théâtrales ? demanda à brûle-pourpoint Aglaé.