Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/364

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nuit ! Si vous avez besoin, prince, du pistolet d’un honnête homme, je suis prêt à tirer une demi-douzaine de nobles coups de feu, avant même que vous soyez sorti de la couche nuptiale. » Craignant une formidable invasion de soifeurs à l’issue de la cérémonie, Keller conseilla aussi de se munir d’une pompe à incendie qu’on placerait à l’entrée de la maison ; mais Lébédeff s’opposa à cette mesure qui, dit-il, aurait pour conséquence de faire démolir son immeuble.

— Ce Lébédeff conspire contre vous, prince, je vous l’assure ! Il veut vous faire mettre en tutelle, — pouvez-vous vous imaginer cela ? — vous enlever l’usage de votre volonté libre et de votre argent, c’est-à-dire des deux objets qui distinguent chacun de nous d’un quadrupède ! Je l’ai entendu dire, positivement ! C’est la pure vérité !

Une nouvelle de ce genre était déjà arrivée aux oreilles du prince, mais, naturellement, il n’y avait pas fait attention. Cette fois encore il se contenta de rire en entendant les paroles de Keller et les oublia tout de suite. Depuis un certain temps, en effet, Lébédeff machinait quelque chose ; enfantés dans une sorte de fièvre, les plans de cet homme offraient toujours un luxe superflu de complications, aussi étaient-ils rarement couronnés de succès. Quand, plus tard, il vint se confesser au prince (c’était chez lui une habitude invariable de venir, après chaque échec, faire sa confession à celui contre qui il avait intrigué), il lui déclara qu’il était né avec les facultés d’un Talleyrand et qu’il ne comprenait pas pourquoi il était resté toute sa vie un simple Lébédeff. Puis il avoua toutes ses manigances au prince, qui l’écouta avec un vif intérêt. D’après son récit, l’employé avait commencé par rechercher la protection de hauts personnages sur qui il pût s’appuyer en cas de besoin, et il était allé trouver le général Ivan Fédorovitch. Ce dernier ne sut trop que lui dire : il souhaitait sincèrement le bien du « jeune homme », mais, « quelque désir qu’il eût de le sauver », dans l’espèce, déclara-t-il, les convenances ne lui permettaient pas d’agir. Élisabeth Prokofievna ne voulut pas même