Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/392

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— C’est tout au plus si je vois… un lit.

— Approche-toi, reprit à voix basse Parfène Séménitch.

Le prince fit encore deux pas en avant et s’arrêta. Pendant une ou deux minutes il regarda sans rien voir. Tant que les deux hommes restèrent là, ils ne proférèrent pas un mot. Le prince était si agité qu’on pouvait presque entendre les battements de son cœur dans cette chambre où régnait un silence de mort. À la fin, ses yeux s’étant habitués aux ténèbres, il put apercevoir le lit tout entier. Sur cette couche quelqu’un dormait dans une immobilité complète ; on n’entendait pas le moindre bruit, pas le plus léger souffle de respiration. Un drap blanc couvrait la tête de la personne endormie, mais les membres se profilaient vaguement ; le relief du corps indiquait seul que quelqu’un reposait sur cette couche. L’alcôve était en désordre : sur le lit, sur les fauteuils, sur le plancher, partout, traînaient des vêtements jetés pêle-mêle, une magnifique robe de soie blanche, des fleurs, des rubans. Les diamants, dont la dormeuse s’était dépouillée avant de se coucher, scintillaient sur une petite table, près du chevet. Le bout d’un pied nu apparaissait sortant de dessous un fouillis de dentelles qui faisaient une tache blanche dans l’obscurité ; ce pied semblait appartenir à une statue de marbre, son immobilité était effrayante. Plus le prince regardait, plus sinistre était l’impression que lui causait le silence de la chambre. Tout à coup une mouche s’éveilla, vola en bourdonnant au-dessus du lit et se posa sur le traversin. Le prince frissonna.

— Sortons, dit Rogojine en lui touchant le bras.

Ils quittèrent l’alcôve et vinrent se rasseoir sur leurs chaises, l’un vis-à-vis de l’autre. Le prince tremblait de plus en plus et son regard ne cessait d’interroger Parfène Séménitch ; celui-ci prit enfin la parole :

— Je remarque, Léon Nikolaïévitch, que tu trembles presque comme lorsque tu es sur le point d’avoir une attaque ; tu étais comme cela à Moscou un moment avant ton accès, t’en