Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/48

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que cette fois son visage eût aucune expression moqueuse.

— Mais pourquoi le regardez-vous d’un air si ébahi, monsieur ? demanda brusquement Élisabeth Prokofievna, — vous le croyiez plus bête que vous, n’est-ce pas ? vous pensiez qu’il était incapable de raisonner ?

— Non, ce n’est pas là ce qui m’étonne, dit Eugène Pavlovitch, — seulement, prince, comment (excusez ma question), si vous voyez et remarquez si bien cela, comment donc se fait-il (encore une fois pardonnez-moi) que dans cette étrange affaire… celle qui a eu lieu ces jours derniers… l’affaire de Bourdovsky, si je ne me trompe… comment se fait-il que vous n’ayez pas remarqué cette même perversion des idées et des convictions morales ? C’est exactement la même ! Il m’a semblé alors que vous ne vous en aperceviez pas du tout ?

— Eh bien, voilà, batuchka, reprit en s’échauffant la générale, — nous autres nous avons tous remarqué cela et nous sommes ici à nous vanter devant lui de notre pénétration, mais aujourd’hui il a reçu une lettre de l’un d’eux, du principal, celui qui a le visage bourgeonné, tu te le rappelles, Alexandra ? Cet homme, dans sa lettre, lui demande pardon, — à sa manière, bien entendu ; il déclare qu’il a rompu avec le camarade qui l’excitait alors, — tu te souviens, Alexandra ? — et que maintenant il croit plutôt le prince. Eh bien, nous autres, nous n’avons pas encore reçu une pareille lettre, cela devrait nous apprendre à ne pas lever le nez si haut devant lui.

— Et Hippolyte est aussi venu demeurer à la campagne avec nous ! cria Kolia.

— Comment ? Il est déjà ici ? demanda le prince alarmé.

— Il est arrivé au moment où vous veniez de partir avec Élisabeth Prokofievna ; c’est moi qui l’ai amené.

— Eh bien, je parie, fit avec une colère subite Élisabeth Prokofievna oubliant soudain qu’elle avait pris un instant auparavant la défense du prince, — je parie qu’il est allé hier trouver ce méchant garçon dans son grenier, qu’il lui a