Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/70

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— Je n’ai jamais tiré.

— Se peut-il que ne vous ne sachiez même pas charger un pistolet ?

— Je ne sais pas. C’est-à-dire, je comprends bien comment cela se fait, mais je n’ai jamais essayé de le faire.

— Alors, c’est comme si vous ne saviez pas, car ici la pratique est indispensable ! Écoutez donc et instruisez-vous : d’abord, achetez de bonne poudre, qui ne soit pas humide (elle doit, dit-on, être très-sèche), vous la demanderez fine, — de la poudre de pistolet, et non de celle dont on se sert pour charger les canons. Quant aux balles, il paraît que les armuriers les coulent eux-mêmes. Vous avez des pistolets ?

— Non, et je n’en ai pas besoin, répondit en riant le prince.

— Ah, quelle sottise ! Ne manquez pas d’en acheter, et de bons, français ou anglais, ce sont, dit-on, les meilleurs. Ensuite, prenez de la poudre, la valeur d’un dé à coudre, de deux peut-être, et versez-la dans votre pistolet. Il vaut mieux qu’il y en ait un peu plus. Bourrez avec du feutre (on dit que le feutre est absolument nécessaire, je ne sais pas pourquoi), on peut se procurer cela n’importe où, au besoin en arracher à un matelas ; il y a aussi des portes dont les bourrelets sont en feutre. Puis, quand vous aurez introduit la bourre, vous mettrez la balle. Vous entendez ? la balle en dernier lieu, et la poudre d’abord ; autrement, ça ne part pas. Pourquoi riez-vous ? Je veux que chaque jour vous vous exerciez au maniement des armes à feu et que vous appreniez à tirer juste. Vous le ferez ?

Le prince se mit à rire. Aglaé frappa du pied avec colère. Son air grave, pendant cette conversation, étonna un peu Muichkine. Il sentait confusément qu’il aurait dû se renseigner sur certains points, faire certaines questions, en tout cas, parler de choses plus sérieuses que la façon d’armer un pistolet. Mais tout s’était envolé de son esprit ; il ne savait plus rien, sinon qu’elle se trouvait assise en face de lui, et qu’il l’avait sous les yeux. Quoi qu’elle pût lui dire, cela en ce moment lui était à peu près égal.